Assurance maladie : « Le système actuel est un non-sens ! »
Confronté à une levée de boucliers, François Fillona été obligé de rétropédaler sur sa proposition de réforme de l’assurance maladie, contenue dans son programme pour la primaire de la droite. Si bien que ses intentions restent inconnues. Sa nouvelle équipe de campagne planche sur la formulation de nouvelles propositions qui devraient être connues fin janvier ou début février. En attendant, l’économiste spécialiste de la santé Pierre-Yves Geoffard, directeur de l’École d’économie de Paris, explique pourquoi le système mérite d’être adapté. Explications.
Le Point.fr : La réforme proposée au départ par François Fillon dans son programme pour la primaire, qui consistait à recentrer l’assurance maladie sur les « maladies graves » et les « affections de longue durée », était-elle crédible ?
Pierre-Yves Geoffard : C’était une proposition très floue. Il faudrait entrer dans les détails. Comment définir une maladie grave ? Un problème bénin peut se transformer en une maladie grave, surtout si la personne fait face à un problème d’accès aux soins.
C’est ce qu’a révélé la phrase de Jérôme Chartier, le porte-parole de campagne de François Fillon, sur France Inter : « Ça dépend du rhume. »
Oui, en termes de communication, c’était désastreux. Et ça a révélé que cette idée du programme n’était pas très creusée, ou alors que le porte-parole n’était pas au courant… Mais il n’en reste pas moins que, de facto, l’assurance maladie obligatoire s’est concentrée, ces 15 dernières années, sur les patients atteints d’affections de longue durée (ALD). La part des dépenses de soins de la Sécu, par opposition aux complémentaires, consacrées aux 17 % de patients en ALD atteint désormais 75 % du total (un chiffre qui inclut les dépenses en rapport avec leur maladie, prises en charge à 100 %, mais aussi leurs autres soins).
Cette tendance a été masquée par la relative stabilité de la part de l’assurance maladie dans la dépense totale de soins, y compris celle des assurances privées, à 77 %. Mais cette stabilité cache plusieurs réalités. Pour les soins liés aux ALD, la prise en charge est de 100 % avec une exonération du ticket modérateur (part d’une consultation non prise en charge par la Sécu, mais par les complémentaires, NDLR). En revanche, pour les autres dépenses, le taux de prise en charge par l’assurance maladie obligatoire a baissé avec la mise en place de franchises, sur le transport médical, 1 euro sur les consultations, etc.
Le système actuel, qui combine justement un remboursement de l’assurance maladie et des complémentaires pour chaque acte, est-il optimal ?
Non, c’est un non-sens. Au départ, les tickets modérateurs avaient été institués pour laisser une partie des soins à la charge de l’assuré. Un peu comme une franchise dans l’assurance automobile afin de pousser à des comportements plus vertueux et de limiter les petites dépenses coûteuses à traiter pour l’assureur parce qu’il faut ouvrir un dossier à chaque fois. Mais, dans le système français, les tickets modérateurs sont pris en charge par les complémentaires santé, qui couvrent désormais 95 % des gens. Ces tickets modérateurs n’ont donc aucun effet, ils ne modèrent absolument rien. Ils sont devenus un simple outil destiné à transférer des remboursements auparavant pris en charge par l’assurance maladie obligatoire vers les assurances complémentaires, et ce, afin d’équilibrer le budget de la Sécu. Ce mouvement est passé relativement inaperçu parce que les gens avaient l’impression d’être toujours aussi bien remboursés puisqu’ils étaient couverts par leur complémentaire. Mais, lorsqu’ils ne sont pas remboursés, les tickets modérateurs sont à manier avec beaucoup de précautions. En effet, ils peuvent conduire des gens à ne plus se soigner, ce qui peut générer des dépenses supérieures lorsque leur état de santé se dégrade par manque de soins.
Pourquoi ce double remboursement, par l’assurance maladie obligatoire et par les complémentaires, sur chaque consultation chez le médecin pose-t-il problème ?
Cette spécificité du système français entraîne une duplication des coûts de gestion liés au remboursement du soin. Le même dossier est ouvert à la Sécu pour le premier remboursement, puis par un assureur, chacun avec un système informatique différent, etc. La Sécu et les complémentaires ont des coûts de gestion du même ordre de grandeur, de 6 à 7 milliards d’euros par an chacun.
Cela veut-il dire qu’il y a des économies à faire ?
Le montant est très difficile à évaluer, mais il atteint sans doute une grande partie de ces 6 à 7 milliards de coûts de gestion.