Paris – Aller travailler dans une autre entreprise avec l’assurance de pouvoir revenir… la mobilité volontaire sécurisée, distincte du congé sabbatique, est encore très peu utilisée. « Inutile » ou voie d' »avenir » ‘ Du côté des salariés comme des entreprises, les avis sont partagés et les réticences fortes.
« Que ma DRH ait accepté ou non ma demande, j’aurais démissionné mais cela m’a sécurisé dans le passage à l’acte« , témoigne Sébastien (prénom modifié), conscient du fort « risque d’exposition au chômage » dans son métier, le recrutement.
Pour franchir le pas, ce cadre de 38 ans parti en septembre 2015 pour une agence de conseil à la culture « web » et « entrepreneuriale » a négocié avec son entreprise d’origine une protection de 6 mois couvrant « a minima (sa) période d’essai« .
Un « sacré défi » personnel après sept années passées dans une structure très institutionnelle, qui « ne lui offrait pas de perspectives d’évolutions internes » en raison d’un « faible turnover« .
Depuis la loi de sécurisation de l’emploi de juin 2013, tout salarié d’une entreprise de plus de 300 personnes ayant au moins deux ans d’ancienneté peut partir « exercer une activité dans une autre entreprise« , à condition d’avoir l’accord de son employeur. Pour inciter les entreprises à accepter, le salarié a droit à un congé individuel de formation si l’employeur refuse deux fois.
Alors que le congé sabbatique ne peut excéder 11 mois, la période de mobilité est librement définie par l’employeur et le salarié. Pendant ce temps, le contrat est suspendu. A l’issue, le salarié a le choix: démission ou retour.
La « mobilité volontaire sécurisée » est « dans l’intérêt de l’entreprise » qui laisse partir ses salariés vers d’autres horizons, car elle permet de « libérer des postes pour des ascensions en interne » à ceux qui restent, estime Martine Le Boulaire, du cercle Entreprise&Personnel. « C’est l’avenir« , dit-elle.
C’est une « bonne idée » qui offre aux salariés la sécurité d’un « élastique » pour « avoir moins peur de lâcher la proie pour l’ombre« , estime Sophie Pélicier, avocate chez Fromont Briens.
En cas de retour, le salarié a en effet la garantie de retrouver son poste ou un emploi similaire. S’il décide de rester dans l’entreprise d’accueil mais perd ultérieurement son emploi, il est couvert par l’assurance chômage.
Et pour l’employeur, ce peut être le moyen de supprimer des postes devenus vacants sans licencier. Cela « participe d’une bonne gestion anticipée de l’emploi et des compétences« , souligne l’avocate d’entreprise.
– ‘Il faudrait être un peu maso’ –
Pourtant, les « réticences » sont fortes « de chaque côté« , observe-t-elle.
Parmi les professionnels, beaucoup restent à convaincre. « Dans un fonctionnement normal, je ne vois pas pourquoi une entreprise ferait cela. Il faudrait être un peu maso, c’est contre-nature« , estime Jean-Paul Charlez, président de l’Association nationale des DRH (Andrh), pour qui cette disposition « relève de l’anecdote« .
Pour l’entreprise, c’est « un outil contraignant » car « qui va à la chasse perd sa place et gérer un retour n’est pas évident« , reconnaît Sophie Pélicier.
L’ancien patron de Sébastien, très ouvert au dispositif, raconte avoir été quelque peu échaudé par le précédent départ – puis le retour – d’un responsable régional: « lui retrouver le même poste dans la même région était infaisable car j’ai un seul manager par région« , explique-t-il. Désormais, « quand je le peux, je remplace par un CDD » la personne partie pour une autre entreprise, le temps de la période de mobilité, dit-il.
Les entreprises redoutent aussi parfois de perdre leurs meilleurs éléments ou que des salariés aillent chez leurs concurrents.
Fondamentalement, « ce n’est pas dans la culture française« , observe Ivan Béraud, secrétaire général de la fédération Communication, Conseil, Culture de la CFDT. « En dehors des groupes, c’est très compliqué que l’employeur accepte, le patron considère en général que son employé doit démissionner et qu’il n’a pas à lui apporter de sécurisation« .
Gérer ces départs semble plus facile dans les grandes entreprises, aux services RH développés. Chez PSA, où la période de mobilité a été fixée à 24 mois, la direction visait 400 départs en 2015, et en annonce davantage en 2016.
Précurseur, Renault a négocié il y a quatre ans un dispositif autorisant une suspension du contrat de maximum 18 mois. En 2014, environ 200 salariés ont saisi ce ticket (trois fois plus que de congés sabbatiques accordés).
– Le retour vécu comme un échec –
En moyenne, depuis 2011, seuls 8% des salariés de Renault sont revenus. L’immense majorité a démissionné, empochant au passage une indemnité représentant entre 6 et 12 mois de salaire. « On a rajouté une sécurisation financière pour rassurer le salarié qui peut hésiter en raison d’un différentiel de salaire » avec son nouvel employeur, explique à l’AFP Didier Réthoré, chef du service emploi à la DRH France.
Pour limiter les risques et « ne pas mettre en péril des projets« , Renault a exclu les salariés sur des « métiers stratégiques » (10 à 15% des effectifs), précise-t-il. Et la crainte que les meilleurs partent était « une idée préconçue« , qui s’est avérée non fondée.
Dans l’entreprise de services informatiques Capgemini, un dispositif maison a été négocié dès septembre 2013. La cible: les plus de 45 ans souhaitant bouger vers une PME. Pourtant, malgré la garantie d’un retour possible au bout d’un an et une aide à la formation conséquente (jusqu’à 25.000 euros), François David, délégué CFDT, ne connaît qu’un seul salarié ayant saisi la « passerelle senior« .
Les salariés craignent sans doute « d’être identifiés comme une personne qui n’est plus motivée » et pour cette raison redoutent un retour, « faute de mieux« , avance-t-il.
Revenir serait « psychologiquement » difficile, « je le vivrais comme un échec de mon projet« , avoue Sébastien, le recruteur de talents digitaux.
Chez STMicroelectronics, en Isère, un dispositif est proposé aux seniors, en s’appuyant sur un partenariat régional d’entreprises. Mais là encore, le succès n’est pas au rendez-vous. Les salariés « mettent dans la balance leur confort, leur salaire et les avantages d’un grand groupe. Ils ont peur d’aller travailler dans une PME qu’ils imaginent fragile« , regrette Maurice Glatigny (CFE-CGC) pour qui « la loi de 2013 n’a rien changé« .
Si les salariés ne se bousculent pas au portillon, c’est aussi parce que les indemnités pour un licenciement économique sont en général plus intéressantes.
« Les gens ont pris l’habitude d’un chèque pour partir, donc ceux qui ont des projets attendent, en espérant qu’il y aura un plan (social), admet M. Glatigny, cela tue un peu la dynamique« .
Mais « quand une entreprise va bien« , insiste son collègue de la CFDT André Granier, « c’est un outil intéressant pour aider les salariés qui veulent changer d’orientation à rebondir« .