La question des fonctionnaires anime l’entre-deux tours de la primaire. Alain Juppé attaque un programme d’une « grande brutalité sociale » quand François Fillon vante « un projet réaliste ». L’Express a tenté de déminer le terrain.
On l’oublierait presque mais les programmes économiques des deux finalistes de la primaire de la droite et du centre se ressemblent comme deux gouttes d’eau: baisse de la dépense publique, baisse des impôts pour les ménages et les entreprises.
A ceci près que François Fillon et Alain Juppé n’ont pas les mêmes ambitions en termes de réduction d’effectif dans la fonction publique. La proposition du député de Paris, qui voudrait supprimer 500 000 postes de fonctionnaires, devient la mesure phare de l’entre-deux-tours de la primaire. Celle qui cristallise la fronde, celle qui affiche les ambitions.
500 000 postes chez Fillon, moitié moins chez Juppé
Dès dimanche soir, le tour de vis que prévoit François Fillon chez les agents publics a été épinglé par l’équipe d’Alain Juppé. C’est même devenu le principal angle d’attaque du maire de Bordeaux et de ses proches qui pilonnent la faisabilité du projet. Lundi soir, sur France 2, Alain Juppé a dénoncé « un programme d’une très grande brutalité sociale. Supprimer 500 000 postes de fonctionnaires en cinq ans, porter la durée du travail dans la fonction publique dès 2017 à 39 heures… Ce sont des mesures inapplicables. La rupture, ça ne doit pas consister à casser la baraque ».
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Interrogé au même moment sur le plateau de TF1, celui qui est arrivé en tête au premier tour a balayé les accusations. « J’ai construit un projet qui est très réaliste, affirme François Fillon. J’ai toujours eu la conviction que ce projet rencontrerait l’attente des électeurs de la droite et du centre. Je reconnais que ce programme est difficile (…). Mais il faut qu’on se retrousse tous un peu les manches. »
« Ce que propose François Fillon sera très difficile à réaliser »
Dans la logique de François Fillon, la fin des 35 heures dans le privé doit être conditionnée à une (r)évolution dans le public. Pour parvenir à la suppression des 500 000 postes de fonctionnaires (contre 250 000 à 300 000 dans le projet Juppé), soit 10% des effectifs globaux, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy compte les faire travailler davantage, sans toutefois les payer au prorata. « Cette augmentation du temps de travail effectif sera mise en oeuvre en un an, indique le candidat dans son programme. Le passage de 35 à 39 heures représente un gain de temps de travail de près de 12%. » En contrepartie, il évoque « une compensation financière partielle et de meilleures perspectives de carrières ». Le candidat n’a jamais détaillé avec précision le niveau de cette « compensation ».
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Contacté par L’Express, l’économiste François Ecalle, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques (2013-2015) et spécialiste de la fonction publique, juge le chiffrage de François Fillon beaucoup trop optimiste. « Ce que propose François Fillon sera très difficile à réaliser. Compte-t-il procéder à des licenciements ou à des départs anticipés? Parce que si l’on s’en tient aux seuls départs à la retraite, ce sont 110 000 personnes qui ont quitté la fonction publique l’année dernière. Peut-être va-t-il inclure les 900 000 contractuels (CDI, CDD) dans ses chiffres, mais j’ai du mal à imaginer que l’on puisse beaucoup jouer sur les contractuels. » D’autant que Juppé comme Fillon assurent qu’ils vont privilégier ce type de recrutement, qui pourrait servir de variable d’ajustement.
Le passage à 39 heures en questions
Sur la question du passage à 39 heures dans le public, François Ecalle, aujourd’hui président de l’association « Finances publiques et économie » (Fipeco), reconnaît que cela « permet de remplir les mêmes missions avec moins de personnes. Mais on pourrait déjà faire en sorte que les gens travaillent vraiment 35 heures. Dans les collectivités locales, la moyenne effective est de 1567 heures par an contre les 1607 heures réglementaires ».
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Du côté de la CGT, que ce soit pour François Fillon ou Alain Juppé, Christophe Couderc dénonce auprès de L’Express « une course à l’échalote ». « S’attaquer aux fonctionnaires, c’est un discours populiste. La fonction publique est un atout pour la nation. Est-ce qu’on peut dire qu’il y a trop d’infirmières, assez de place en crèches et de professeurs dans les écoles? », demande le vice-président de la centrale en charge de la fonction publique territoriale. « Passer à 39 heures, on y est opposé. Dans certains services, notamment à l’hôpital, nous avons des horaires atypiques (travail de nuit, le week-end, tôt le matin). Aujourd’hui les heures sup’ ne sont pas payées et nous accumulons des récupérations que nous ne pouvons pas prendre. »
Où tailler dans les effectifs?
Reste que si l’idée de baisser les effectifs dans la fonction publique n’est pas vraiment nouvelle, les objectifs fixés par François Fillon sont inédits. « L’Etat a fait beaucoup d’effort sur ses effectifs, donc je vois mal de nouvelles coupes dans la Défense, la Police ou la Justice, estime François Ecalle. On peut revenir sur l’Education nationale, mais c’est compliqué. Idem dans les hôpitaux où la situation est difficile. Donc s’il y a du « grain à moudre », c’est dans les collectivités locales. Seulement, ce sont les seules à pouvoir faire ce qu’elles veulent en matière d’effectifs. Si l’Etat réduit à nouveau les dotations, comme ce fut le cas sous François Hollande, elles pourront toujours augmenter les impôts locaux… »
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Un scénario qui, même s’il tient la corde, a en tout cas été très bien anticipé par les équipes de François Fillon. Le candidat a écrit noir sur blanc dans son programme qu’il comptait « maîtriser les dépenses des collectivités territoriales en limitant leur possibilité d’augmenter les impôts locaux ».
Les fonctionnaires se répartissent en trois grandes familles:
1/ La fonction publique d’Etat (FPE) qui regroupe 2,3 millions d’agents
2/ La fonction publique territoriale (FPT) qui emploie 1,9 million de personnes
3/ La fonction publique hospitalière (FPH) où travaillent 1,1 million d’agents