Barack Obama quittera définitivement la Maison Blanche le 8 novembre après deux mandats. En matière économique, ses chiffres sont encourageants. Mais les statistiques son parfois trompeuses et les Américains ne le voient pas du même oeil.
En 2008, Barack Obama et son « Yes we can » débarquaient à la Maison Blanche en pleine tourmente économique. Le taux de chômage aux Etats-Unis culmine alors à 10%, et le pays traverse une crise d’une ampleur inédite. Le système financier est au bord de l’effondrement.
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Huit ans plus tard, à la veille du départ définitif du président démocrate le plus « cool » de l’histoire américaine, le panorama est tout autre. Le pays caresse le plein-emploi. Sa croissance fait rêver si ce n’est enrager l’Europe. Son secteur automobile tourne à plein régime, avec un record de ventes en 2015. Plus de 17 millions de véhicules ont été vendus sur le territoire, alors que le marché n’avait jamais réussi à dépasser ce seuil avant la crise.
Pourtant, selon l’institut d’opinion Gallup, seulement la moitié des Américains posent un regard positif sur leur futur-ancien président. Comment expliquer une telle polarisation? Les raisons sont à chercher dans les méandres du bilan économique de la présidence Obama.
De 800 000 emplois détruits par mois au plein emploi
Interrogé en début d’année par CNN, James Chanos, le fondateur du fonds d’investissements Kynikos Associates est dithyrambique à l’égard du bilan de Barack Obama: « Les progrès faits au cours des huit années passées sont franchement incroyables », lâche-t-il à la chaîne de télévision américaine.
Au plus fort de la crise, l’économie américaine a détruit jusqu’à 800 000 emplois par mois. Dès son arrivée à la Maison Blanche, Barack Obama a alors entrepris « une restructuration et recapitalisation du système financier, un plan de soutien budgétaire à la croissance, ainsi qu’un plan sectoriel destiné à redresser le secteur automobile », rappelle le directeur adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) Christophe Destais.
Couplées aux actions de la banque centrale américaine (Fed), les mesures ont finalement permis d’enrayer « la spirale dépressive », souligne l’économiste. Bilan: en 2015, les Etats-Unis ont enregistré une croissance de 2,4%. Une progression modeste au regard des moyennes enregistrées par le pays au cours de son histoire, mais plus rapide sur la période que l’ensemble des pays européens à l’exception de l’Espagne, rapporte le Financial Times. Le marché de l’immobilier, particulièrement sinistré, est également reparti, liste le journal.
Mais c’est sur le front de l’emploi que les résultats les plus nets sont observés. En deux mandats, entre 9,3 et 13,6 millions de nouveaux emplois ont été créés, chiffre un contributeur du Guardian. C’est beaucoup plus que sous l’ère Bush, qui n’avait contribué à la création d’emplois qu’à hauteur de 1,3 million de postes.
Des salaires à la baisse, des inégalités en hausse
Mais dans le détail, la réalité est moins reluisante. Ainsi, la majorité des emplois créés sont à bas salaires, estiment les médias anglo-saxons. En 2014, le New York Times a calculé que les secteurs proposant des hauts salaires avaient perdu 3,6 millions d’emplois pendant la crise pour en recréer 2,6 millions à l’heure de la reprise. A l’inverse, les industries et services employant de la main-d’oeuvre bon marché ont perdu 2 millions d’emplois, pour en recréer près de 3,8 millions.
Au total, les salaires horaires réels ont augmenté, mais de manière très marginale puisqu’ils n’ont pris que 7% en autant d’années, rapporte le Guardian. Le revenu médian d’un ménage a atteint 55 775 dollars en 2015 selon les données gouvernementales, bien en deçà des 57 724 dollars de 2001, année à laquelle Bill Clinton quitte la Maison Blanche après son second mandat.
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Quant aux inégalités, elles ont suivi leur long chemin à la hausse. Entre 2013 et 2014, les revenus des 1% les plus riches ont cru de 11%, tandis qu’ils ont augmenté au rythme de 3,3% sur la même période pour les 99% les moins riches, selon les calculs de l’économiste de Berkeley, Emmanuel Saez… Ironie du sort, il s’agit là du meilleur rythme de croissance pour cette tranche de la population américaine depuis 1999.
Le déclassement, terreau fertile pour Trump
Sans surprise, cette croissance des inégalités touche prioritairement les minorités. « Qu’il s’agisse de l’accession à la propriété, des revenus moyens, de la pauvreté… Les noirs ont vu leur situation se dégrader depuis le début du premier mandat d’Obama » estime le Wall Street Journal. Mais le phénomène touche aussi les blancs les moins qualifiés, qui ont lourdement souffert de l’effondrement de l’industrie américaine, ainsi que des baisses du niveau de vie et de revenus pendant la crise, note Slate.
Or, si les Etats-Unis ont fait mieux sous l’ère Obama que le reste des pays avancés, « la plupart des Américains ne comparent pas la performance américaine avec celles des pays européens. Ils le font avec les précédentes sorties de crise qu’ils ont connues, et avec ce qu’ils ont vécu », observe le Wall Street Journal. Ainsi, le président démocrate a sorti les Etats-Unis du déclin économique, mais n’a pas réussi à enrayer le sentiment de déclassement d’une partie de la population, essentiellement blanche, lors de la phase de reprise.
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Un échec qui a propulsé Donald Trump dans la dernière ligne droite de l’élection présidentielle américaine. Surfant sur le malaise d’une partie de la population américaine, il fustige aussi des résultats moyens en terme de croissance et a réussi à faire oublier le rôle de son camp dans ce bilan économique. « Les résultats d’Obama en matière économique ne peuvent pas lui être totalement imputés. Pendant tout son mandat, il a dû composer avec un Congrès républicain très hostile. Or c’est avant-tout cet organe qui décide », rappelle Christophe Destais. Reste à voir si les Américains, ou l’Histoire, sauront s’en souvenir.