Le retour du « gender gap »
La notion de « radical right gender gap » désigne la réticence plus marquée des femmes à voter pour les droites radicales. Il s’observe dès leur émergence électorale en Europe à la fin des années 198070, pour des raisons qu’on ne développera pas ici (différences de statut professionnel, de religiosité, de socialisation politique, impact du féminisme, etc.). Du temps où Jean-Marie Le Pen présidait le FN, les électrices étaient en tout cas systématiquement moins nombreuses que les électeurs à lui donner leur voix, avec des écarts de 4 à 7 points. Mais au premier tour du scrutin présidentiel de 2012, l’écart entre le vote Marine Le Pen des électeurs et des électrices se réduit à 1,5 point. Une fois contrôlé l’effet des autres variables susceptibles d’expliquer le choix électoral, le gender gap disparaît complètement. À âge, profession, diplôme, pratique religieuse, orientation idéologique égaux, les femmes ont autant voté pour la candidate du FN que les hommes en 2012. On peut y voir un « effet Marine Le Pen » : une femme, qui se présente comme « quasi féministe », avec une image plus moderne que son père sur les questions de société, et qui donne du parti une image moins extrême. Cela tiendrait également à la détérioration de la situation économique des femmes de milieu populaire, en particulier dans le prolétariat des services. Marine Le Pen fait une percée spectaculaire, au premier tour présidentiel, chez les employés de commerce, un milieu majoritairement féminin71. Mais en 2015, l’écart entre le vote masculin et féminin pour le FN est revenu (33 % contre 26 %), comme déjà lors des élections européennes de 2014 et des départementales de 2015. Une analyse de régression logistique introduisant successivement dans le modèle explicatif les variables socioculturelles (sexe, âge, niveau d’études, pratique religieuse, profession), politiques (placement sur l’échelle gauche/droite) et les orientations idéologiques (euroscepticisme, ethnocentrisme, libéralisme économique et culturel) confirme que le radical right gender gap réapparaît dès qu’on introduit les variables politiques et idéologiques. Autrement dit, le phénomène n’est pas stabilisé et il dépend largement du contexte électoral. Une campagne présidentielle particulièrement intense et mobilisatrice comme celle de 2012 a pu inciter des femmes jeunes, peu qualifiées, de milieu populaire, à faire de Marine Le Pen, le temps d’un scrutin, la porte-parole de leur ras-le-bol. Les mêmes se détournent sans doute des urnes lors d’élections de faible intensité, ou votent pour la droite sarkozyste.