« Retour vers le futur » : y a-t-il un pilote dans la DeLorean ?
L’histoire est parfois d’une ironie cruelle. Avant de devenir une star mondiale avec le succès planétaire du film Retour vers le futur, la DeLorean est d’abord un immense échec commercial et industriel. Celui de John Zacchary DeLorean, ingénieur et homme d’affaires américain qui décide de créer une marque automobile à son nom en 1975 après avoir passé quinze années chez General Motors, se hissant jusqu’au poste de vice-président dont il démissionnera.
L’homme ne manque pas de prestance, et sa haute stature, bien connue chez GM qui l’a débauché chez Packard, va servir d’étalon à une sportive de légende. La Pontiac GTO, la première « muscle car », va défrayer la chronique et propulser le premier constructeur de la planète au palmarès des sportives américaines. Mais, à 47 ans, DeLorean jugé cassant et autoritaire, décide de quitter ses pénates de Detroit pour se lancer dans l’aventure et devenir constructeur à part entière.
Sammy Davis Jr. en soutien
Sans fortune personnelle, il lui faudra d’abord réunir les fonds nécessaires et après avoir obtenu un financement de la Bank of America, il réussit à convaincre le monde du show-biz de participer au projet. Sammy Davis Jr. ou le présentateur du Tonight Show Carson mettront la main à la poche pour que, enfin, le 24 octobre 1975, John Z DeLorean crée officiellement sa compagnie.
Sur le papier, l’aventure est belle avec un châssis poutre étudié par Lotus et habillé d’une carrosserie dessinée par le grand maître de la voiture de sport, Giorgetto Giugiaro. L’originalité tient autant dans sa construction en acier inoxydable que dans la cinématique de ses portes papillon, utilisées une seule fois sur la Mercedes 300 SL. Mais les déconvenues se sont accumulées dès le début du projet, l’architecture à moteur rotatif central du prototype initial (Citroën-Wankel) devant être abandonnée pour raisons techniques au profit d’un moteur V6 PRV (Peugeot Renault Volvo) installé en porte-à-faux arrière, comme sur les Alpine A310 de l’époque. Il en démontera plusieurs afin de mieux s’en inspirer et pénétrer ses secrets de fabrication.
Deux entrées à l’usine
Mais alors que les plans s’échafaudent avec une volonté d’originalité et d’innovation marquantes, le constructeur sur le papier se devait d’en être un autre sur le terrain. En raison d’un montage économique complexe basé notamment sur l’obtention de substantielles subventions, l’usine DeLorean fut finalement installée en Irlande du Nord en 1978. Chasseur de primes, DeLorean avait bien compris que de puissantes aides viendraient à son secours s’il installait ses ateliers dans cette contrée ignorant tout de la construction automobile. Subventionnée à 60 % par la Grande-Bretagne qui en attendait 3 000 emplois et voulait prouver là sa volonté de rebâtir une nation déchirée entre catholiques et protestants, la production DeLorean a finalement échoué à Dunmurry, à quelques miles de Belfast. Il y avait deux entrées dont la légende a établi qu’elles étaient réservées chacune à une confession. En réalité, c’était juste pour des raisons pratiques.
Les premières DMC 12 (12 pour 12 000 dollars, prix envisagé aux débuts) sortiront en 1978 à l’état de prototypes. Il y avait un soubassement en fibre de verre, un châssis poutre en double Y sur lesquels venaient s’accrocher des panneaux en acier inoxydable brossé acheté à prix d’or en Allemagne. En raison de sa complexité technique, les coûts de production étaient élevés, mais aussi les retours en après-vente. L’étanchéité des portes laissait notamment à désirer tout comme les performances du pauvre V6 PRV (Peugeot, Renault, Volvo) emprunté aux 604, Tagora, Renault 30 ou Volvo 260, la seule à être exportée aux États-Unis. Pour cette raison, c’est cette version portée de 2.6 à 2.8 l pour compenser la dépollution (déjà) qui sera retenue, les 150 ch vus sur l’Alpine dégringolant à 130 ch en version US.
Performances misérables
Autant dire que ses performances misérables n’auraient jamais permis à Marty d’atteindre en quelques secondes les 88 mp/h (141 km/h) nécessaires au voyage dans le temps. La forme, même avec sa calandre simpliste, recueillait presque tous les suffrages, mais le fond manquait terriblement de consistance. Les suspensions, largement empruntées à Lotus qui fabriquait aussi le châssis, avaient pourtant de la tenue, mais, même au début des années 80, on ne s’improvise plus constructeur. Prévue pour être produite à 12 000 exemplaires par an, la DMC 12 ne comptera que 9 200 véhicules assemblés en deux ans lorsque la firme fit faillite en 1982, perdant 200 millions de dollars dans l’aventure. John DeLorean, mêlé à tort à une affaire de trafic de cocaïne, ne se relèvera pas de la suspicion attachée à son nom. Il disparaîtra en 2005.
Bien loin des Corvette et Porsche, plus puissantes et moins chères qu’elle, la DeLorean ne connaîtra qu’une gloire posthume. Alors que le scénario de Retour vers le futur imaginait que la machine à remonter le temps serait un frigo, le producteur fit valoir qu’il ne voulait pas avoir sur la conscience une vague de gamins jouant à s’enfermer, imitant Marty McFly, dans un réfrigérateur. Le frigo fut remplacé par cette DeLorean, peut-être parce qu’en 1985, date de sortie du film, la voiture jugée ringarde par les scénaristes ne risquait plus de fâcher le constructeur. Cet alter ego de la 403 de Colombo a disparu des catalogues, mais survit tout de même puisque les deux tiers roulent encore. Il y a même une société au Texas qui a racheté les droits, le stock de pièces et se dit capable de refaire, sur une base existante, une voiture quasi neuve. Et pour 70 000 dollars, on pourra même se procurer une réplique de la voiture de Marty McFly, de quoi se faire un film.
Sous le capot de la DeLorean DMC 12 (1981-1983)
Cylindrée : 2 849 cm3
Type : V6 à 90° (PRV) essence, injection électronique
Disposition : porte-à-faux arrière
Puissance : 130 ch à 5 500 tr/min
Couple : 22.0 mkg à 2 750 tr/min
Transmission : roues arrière
Boîte de vitesses : 5 rapports ou BVA 3 rapports
Dimensions : 4,27 x 1,99 x 1,14 m
Coffre : non communiqué
Poids : 1 288 kg
0 à 100 km/h : 9,5 s
Vitesse maxi : 193 km/h
Poids/Puissance : 9,90 kg/ch
Consommation : non précisé
Prix : 24 000 dollars en 1983
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