Une journée de mobilisation pour le climat
Avoir le dernier mot. Sans attendre la signature de l’accord de Paris, les ONG environnementales ont fait de samedi une vaste journée de mobilisation pour la défense du climat. Venus des quatre coins du monde pour la COP21 ou pour ce week-end d’action, des milliers de manifestants ont pris part aux trois actions phares organisées ce jour pour «écrire l’histoire». Libération les a suivis. Voici le fil de cette journée.
La manif virtuelle dans tout Paris
Les défenseurs du climat se sont levés tôt samedi. Dès 8h30 débutaient les briefings dans 19 lieux de la capitale sur l’action de la matinée, organisée par les Amis de la Terre (avec Greenpeace, CCFD-terre solidaire, les Jeunes écolos, Alternatiba et Oxfam). Objectif : faire apparaître les mots «Climate justice peace» (Climat justice paix) sur une carte numérique de la capitale.
«C’est la première fois qu’on tente ça. L’idée est née de l’impossibilité de manifester comme d’habitude», raconte Lucie Pinson, porte-parole des Amis de la Terre. Au lieu de se réunir à un endroit et de défiler, les manifestants se sont chacun vus attribuer un point de rendez-vous dans la capitale. Par groupe de six, ils se sont géolocalisés en trois points d’un quartier en se connectant au site climatejusticepeace.org. Chaque repère formant ensuite une partie des lettres du message.
«C’est une très bonne idée, c’est moderne. J’espère que là-haut, au Bourget, ils pourront vivre ça en direct», sourit une sexagénaire venu de Lyon qui, place des Vosges, a déployé une banderole réclamant «Justice climatique pour la paix». «Que ferait l’être humain sans la nature ?, interroge Jailys, 26 ans. La plupart des gens sont endormis. Qu’attendent-ils pour bousculer leur petit confort ? On vit dans une société décadente, et c’est pour réclamer davantage de justice que je suis ici aujourd’hui.»
Il est 11 heures et son groupe commence à s’agiter. «On est censés se géolocaliser dès maintenant mais on n’arrive pas à se connecter au site. Vous avez Internet ?», lance un barbu venu du Pays de Galles pour la COP21. Le stress le gagne : «On est en train d’échouer. Ça va être un désastre si c’est pareil pour les autres.» A cet instant, autour de la place des Vosges, il n’est pas le seul à avoir des difficultés pour accéder au site.
Le message commence à se former. On devrait bientot y lire #ClimateJusticePeacepic.twitter.com/heMSy1t3SL
— Gabriel Siméon (@gabsimeon) 12 Décembre 2015
Petit à petit, les mots finissent néanmoins par se former sur la carte. Rue de Turennes, Alice, 36 ans, venue de Londres pour l’occasion, s’en émerveille : «C’est beau ! Et regardez tous ces gens qui ont publié une photo sur les réseaux sociaux. Allez, on prend la nôtre et on rejoint le prochain point !» Elle ira ensuite rejoindre la deuxième manifestation, les «lignes rouges».
Ca y est. #ClimateJusticePeace géolocalisé par des milliers de militants sur https://t.co/vGwpDJvwi6 BRAVO ! #COP21pic.twitter.com/AyzX3glocg
— Greenpeace France (@greenpeacefr) 12 Décembre 2015
Les «lignes rouges» près de l’Arc-de-Triomphe
A midi, ils ne sont pas encore nombreux à être arrivés jusqu’à l’avenue de la Grande-Armée, où deux grands rubans rouges doivent être déployés à 12h12. Sébastien, militant et syndicaliste de Solidaires fait partie des premiers arrivés, avec son poncho, rouge bien sûr. «Nous avons le pouvoir et nous allons le montrer, explique-t-il, tout en jetant un regard un peu inquiet à la foule encore clairsemée. Les gens n’ont peut-être pas encore conscience de l’urgence de la situation. Pour certains, la question de l’environnement est encore un peu lunaire, notamment dans les entreprises et du côté des syndicats». «Pourtant, les emplois verts sont source de solutions contre le chômage, pointe, de son côté, Jonathan, vingt ans de militantisme au compteur, venu de Grande-Bretagne. Les travailleurs, comme l’ensemble des citoyens, doivent comprendre que si l’on ne fait rien, ce sera une catastrophe».
Mais les craintes des premières minutes sont vite dissipées. Passé les contrôles des forces de police, présentes à chaque intersection, les militants arrivent en masse. Parapluie, vélo, pyjama, bouquet de fleurs, guirlande, pull, fleurs, béret, rideau : à chacun sa touche de rouge, pour coller au code couleur de l’événement. Chacun aussi son message. Pêle-mêle, on peut lire sur les pancartes : «Nous sommes la nature qui se défend», «Laissez le pétrole dans le sol», «Le changement, c’est nous» ou encore «Changer le système, pas le climat».
Bonnet phrygien, Arc de Triomphe, tulipes et #lignesrouges, avenue de la Grande Armée, à Paris #COP21pic.twitter.com/q6zMtMz8jK
— Amandine Cailhol (@A_Cailhol) 12 Décembre 2015
Après une minute de silence, «hommage pour les victimes du réchauffement climatique», plusieurs cornes de brume retentissent, marquant le départ de l’action. Au milieu de la rue, les deux tissus rouges, portés par les militants, s’étirent, côte à côte, depuis l’Arc-de-Triomphe, jusqu’en bas de l’avenue, et sa vue plongeante sur le quartier de La Défense. Un symbole de la «ligne rouge» à ne pas franchir dans les négociations sur le climat, qui doivent s’achever samedi au Bourget.
Les#lignesrouges commencent à descendre dans le calme pour se disperser vers la Porte Maillot. pic.twitter.com/WukriLHSke
— Amandine Cailhol (@A_Cailhol) 12 Décembre 2015
«Je suis vieille, mais je veux essayer de faire le maximum pour le climat et pour les générations futures, explique une participante «pacifiste», venue «marquer le territoire». Un peu plus loin, C’est toute une famille qui marche pour dire que «la société civile est garante des limites à ne pas dépasser». «Quand on a su que l’action était autorisée, on a décidé de prendre les enfants. C’est en étant dans les manifestations que l’on comprend les choses», expliquent les parents. Quant à Darius, Jeannette et Nelly, 10, 11 et 9 ans, ils espèrent que «vu le monde présent, les présidents prendront la bonne décision». D’où leur question, adressée à François Hollande : «Veux-tu sauver la planète ?»
Dans le calme et en musique, la troupe bigarrée commence à se disperser. Une scène vient toutefois rompre la bonne humeur : quatre hommes en blousons noirs plaquent brusquement au sol une jeune fille en train de courir, avant de la relâcher, sous les cris de la foule : «Attention, la police essaye d’arrêter quelqu’un». «Laissez-nous. On est des pacifistes. On est des Bisounours», lance un homme. Mais déjà, à quelques pas, une chorale reprend un enjoué Bella ciao. Un peu plus loin, c’est un Père Noël rockeur, qui enflamme les foules : «Dites-moi à quoi ressemble la démocratie. C’est à cela qu’elle ressemble !»
#lignesrouges Le Père-Noël a aussi fait le déplacement. pic.twitter.com/pDEnBNy2Fu
— Amandine Cailhol (@A_Cailhol) 12 Décembre 2015
La chaîne humaine au Champ-de-Mars
Dernier rendez-vous de la journée, c’est face à la tour Eiffel que les militants ont choisi de se faire entendre, en formant une chaîne humaine, «symbole de solidarité et de pacifisme», explique un bénévole. Mains dans les mains, les militants enchaînent les slogans : «Enterrons les énergies fossiles», «le Tafta, c’est tabou, on en viendra tous à bout», «un autre monde est possible», «justice climatique».
Pendant que certains forment une #chaînehumaine près de la Tour Eiffel, d’autres discutent climat sur un banc. pic.twitter.com/fjA2gurnJg
— Amandine Cailhol (@A_Cailhol) 12 Décembre 2015
Puis, c’est devenu une habitude depuis deux semaines de mobilisation citoyenne, pour clôturer la journée, le groupe HK et les Saltimbanks entonne son refrain : «On lâche rien», repris par la foule. Vient alors le temps des prises de paroles et du bilan. L’accord du Bourget, un «arrangement honteux», figure bien sûr en haut de la colonne des points négatifs. Reste, pour se consoler, la mobilisation citoyenne, «un moment historique», selon Geneviève Azam, d’Attac. Et de conclure : «Nous allons poursuivre nos alternatives, nos résistances. Nous allons continuer le combat.»
Gabriel Siméon , Amandine Cailhol