L’extension de la «garantie jeunes», un droit pas si universel que ça
C’est une des mesures phares, annoncée lundi par le gouvernement, pour rééquilibrer le projet de loi travail, et rassurer l’aile gauche de la majorité. La «garantie jeunes», dispositif ciblant les moins de 25 ans en difficulté d’insertion, doit être étendue. Elle devrait même devenir «un droit universel», selon le gouvernement. Sauf que, dans les faits, il risque de ne profiter qu’à environ 200 000 personnes.
Qu’est-ce que la «garantie jeunes» ?
Pilotée par le ministère de l’Emploi, via les missions locales, la «garantie jeunes» est un parcours d’insertion professionnelle destiné aux 18-25 ans, pas ou peu diplômés, «qui ne sont ni en cycle d’études, ni en formation et dont les ressources ne dépassent pas le plafond du Revenu de solidarité active». Ce sont les fameux «neet» pour «not in education, employment or training». Soit des jeunes «très désocialisés» et «vulnérable[s] sur le marché du travail», confrontés à un risque de «marginalisation sociale», explique le gouvernement. Le but : les «épauler» dans la recherche d’emploi et de formation, tout en lui apportant un soutien financier (461,26 euros mensuels). Concrètement, après avoir été sélectionnés par une commission locale, les bénéficiaires sont accompagnés pendant une période d’un an (renouvelable six mois) découpée en six semaines d’accompagnement collectif et des périodes de stages, d’emplois aidés ou encore de formations.
Lancé en 2013, sous l’impulsion de la Commission européenne et intégré dans le premier grand plan de lutte contre la pauvreté du gouvernement Ayrault, le dispositif a d’abord été expérimenté dans une poignée de départements, avant d’être étendu à 62 départements aujourd’hui. Un chiffre qui devrait grimper à 91 d’ici la fin de l’année. Au 31 décembre 2015, le gouvernement comptabilisait «quelque 46 000 jeunes» ayant bénéficié du dispositif depuis sa mise en place en 2013. Ils étaient, au même moment, 35 000 en cours d’accompagnement. Coût de l’opération pour le gouvernement : 164 millions d’euros en 2015.
A qui va profiter l’extension du dispositif ?
D’un impact jusqu’alors limité, la garantie jeunes est sur le point de devenir «un droit universel», selon les mots du Premier ministre. En France, comme l’a rappelé Myriam El Khomri, la ministre du Travail, 900 000 jeunes n’étaient «pas en emploi, pas en étude, pas en formation en 2013». Autant de bénéficiaires potentiels, donc, pour la garantie jeunes ? Pas si sûr. Car selon la ministre, «tous ces jeunes doivent bénéficier d’un accompagnement, mais pas forcément de la garantie jeunes.» Et d’ajouter : «C’est un accompagnement intensif avec des critères», les jeunes concernés devant être «en précarité, […] motivés et volontaires pour entrer dans ce dispositif».
Sur les 900 000 jeunes de moins de 26 ans considérés comme «en précarité», seuls 500 000 seraient ainsi éligibles «en théorie». Mais, plus modestement, le gouvernement table sur «100 000 jeunes qui seront rentrés dans la garantie jeunes» d’ici la fin de l’année et 100 000 supplémentaires en 2017, du fait d’un taux de recours limité. «Notre estimation, c’est 200 000 jeunes avant la fin du quinquennat», confirme le cabinet d’El Khomri. Comme pour la prime d’activité actuellement ou le RSA avant, le gouvernement base donc ses estimations sur le non-recours à cette garantie par une partie des bénéficiaires potentiels. «On n’a jamais un taux de record de 100%», se défend le cabinet de la ministre du Travail.
«Voilà comment d’un droit universel hier on passe aujourd’hui à une (louable) extension du nombre de jeunes concernés : 200 000 sur 900 000… La généralisation de la garantie jeunes n’est pas un droit universel. Il est plus conforme à la réalité de le présenter ainsi, tout en se félicitant de cette avancée, mais sans la sublimer», explique Jérôme Guedj, l’un des porte-voix de l’aile gauche socialiste. Entre la prime d’activité désormais ouverte aux moins de 25 ans et la garantie jeunes déjà annoncée, «c’est pipeau, c’est du recyclage», tâcle le député Pascal Cherki. Pour lui, «vous ne pouvez pas rhabiller votre grande ambition pour la jeunesse en simple RSA Jeunes».
Quel financement est envisagé ?
Si les 500 000 personnes éligibles à l’extension de la garantie jeunes demandaient à bénéficier du dispositif, le coût de ce dernier pourrait dépasser 1,6 milliard d’euros par an. Une enveloppe budgétaire que l’Etat aurait bien du mal à trouver… Mais les estimations du gouvernement sont bien en deçà de ce chiffre, puisqu’il estime que la mesure lui coûtera 418 millions d’euros en 2016 et le double en 2017. La droite, elle, a multiplié le nombre total de jeunes sans qualification pour crier au loup et dénoncer une mesure coûtant près de 4 milliards d’euros. «Cela ne coûte pas plusieurs milliards, ni en année zéro ni en année 1», insiste l’entourage de la ministre.
Reste à savoir qui va mettre la main au porte-monnaie ? Pas les entreprises, promet la ministre du Travail, qui jure que la mesure «ne [leur] coûtera rien». Plusieurs «dispositifs d’accompagnement dans le projet de loi de finances» ainsi que «des aides de l’Union européenne» s’additionneront pour régler la facture. Depuis son lancement, le dispositif bénéficie de lignes de financement de l’Europe qui complète les dépenses des Etats membres au moyen, notamment, du Fonds social européen. Côté français, «ce sera de l’argent qu’on puise dans le budget de la formation professionnelle», qui dépasse les 25 milliards d’euros, assure une source ministérielle.
Qu’en pensent les jeunes ?
Si la Fage, syndicat étudiant proche des «réformistes» salue «la plus grande avancée sociale pour les jeunes» et appelle au dialogue, plutôt qu’à battre le pavé, la mesure n’a pas suffi à convaincre les autres organisations de jeunesse. Pour l’UNL, qui demande toujours le retrait du projet de loi, il convient de rester «vigilante» quant à la mise en œuvre de cette mesure. Surtout, pour le syndicat lycéen, «la garantie jeune doit devenir un droit accessible à l’ensemble des 900 000 jeunes sans travail ni formation». Soit une facture totale qui se chiffrerait cette fois en milliards d’euros.
Même discours de l’Unef, qui évoque un «enfumage» et maintient ses appels à la mobilisation. Tout aussi réservés, les étudiants communistes s’interrogent : «Qui accepterait d’être payé 450 euros par mois ? Certainement pas les centaines de milliers de jeunes et d’étudiants qui ont manifesté mercredi dernier.» Pour une ancienne ministre pourtant, l’annonce de lundi permet d’envisager une sortie de crise avec les jeunes car «si la Fage faisait le lien avec l’Unef, c’était foutu pour le gouvernement».
Laure Bretton , Amandine Cailhol