Lanvin : Lucas Ossendrijver, l’homme fort du Faubourg
En une décennie – autant dire un siècle dans le milieu de la mode ! -, le designer a repensé l’allure de l’homme chez Lanvin en associant la coupe impeccable des costumes issue de la tradition tailleur de la maison à des volumes et des détails empruntés au sportswear. De ses expériences passées chez Kenzo, Kostas Murkudis, puis Dior Homme, où il travailla trois ans et demi auprès d’Hedi Slimane, Lucas Ossendrijver a appris à jouer à la fois sur l’austérité apparente des lignes et sur la sensualité des tissus et des peaux, veillant au moindre détail dans la facture du vêtement. Une démarche qui, loin de trahir un héritage, le sublime avec subtilité.
Du cachemire au kangourou, du cerf à l’alpaga, du python mat à la soie satinée technique, chaque texture définit une silhouette, à la fois fluide et graphique, urbaine et sportswear, au filtre d’un colorama poétique, conçue pour un homme contemporain affranchi et cosmopolite. En exclusivité pour Le Point, il revient en images sur ses passions et sur les moments forts de cette décennie au cours de laquelle il a redéfini les codes de l’univers masculin de Lanvin.
La musique
« J’aime sortir pour écouter de la musique électronique. The Sky Was Pink, de Nathan Fake, grand classique de ce genre musical, me touche beaucoup. Je vais dans des clubs ou des salles de concert pour observer les gens. Je les trouve plus créatifs, moins stressés, à la fois dans leur attitude et dans leur façon de s’habiller. Humer cette ambiance particulière est important pour moi. »
Les images
« J’adore la photographie. Je vis entouré de tirages photos et de livres. Ma peur du vide et de la page blanche me pousse à m’entourer en permanence de matière artistique. La photographie est ma compagne d’inspiration ; elle m’aide également à m’évader. Deux photographes me touchent particulièrement : David Armstrong et son ouvrage Night and Day, une sorte de documentaire sur ses amis dans le New York de la fin des années 70. Et Vivianne Sassen, photographe de mode avec qui j’étais à l’école. »
Le vêtement a une mémoire
« Je souhaitais des pièces qui donnent l’impression d’avoir vécu. Comme si elles avaient eu plusieurs vies auparavant. Cette parka de la collection Printemps-été 2016 est portée sur un imperméable. Elle a été travaillée comme un collage. Des détails ont été cousus. Puis, après traitement, ils ont été enlevés, laissant des traces, comme des ombres. Le vêtement fut ensuite entièrement démonté pour être reconstruit en y contre-collant une soie-viscose imprimée zèbre. Le contraste entre vieux et neuf apparaît alors. »
La symphonie des bleus
« Ma couleur préférée est sans doute le bleu marine. Je la trouve masculine, avec son côté uniforme, et en même temps terriblement versatile. Il n’y a pas un seul bleu marine, mais plusieurs. Plus vif ou plus profond selon les matières sur lesquelles il est apposé. Pour la collection Printemps-été 2008, j’ai souhaité exprimer ces multiples nuances de bleu en superposant des pièces en soie lavée, en tissu technique, en popeline ou en piqué de coton. C’est également la collection où j’ai montré une chemise polo avec un col en gros-grain, une des signatures du dressing masculin de Lanvin. »
La basket
« Pour assouplir l’allure, j’ai naturellement pensé aux baskets. Pour qu’elles soient très Lanvin, il fallait associer matières sophistiquées et techniques et jouer sur un colorama subtil. J’ai imaginé de nombreuses versions : en cuir patiné, en tissu et bouts en cuir verni et déclinée en satin et veau-velours. Je ne m’attendais pas du tout au succès de nos modèles lors de leur sortie, mais ils sont très vite devenus un best-seller de la maison, sans doute parce qu’ils répondaient aux attentes des clients. »
La coupe
« C’est la coupe qui fait la silhouette. Pour la collection Automne-hiver 2014, j’ai imaginé un vêtement très simple, sans doublure. Un duffle-coat au volume rond avec une grande capuche. Tout est dans la construction des manches, coupées en un seul morceau, faisant corps avec le reste de la pièce. Ce vêtement reste très fluide malgré le tissu utilisé, une laine double face composée après assemblage de quatre épaisseurs de matière. »
L’art
« Je ne suis pas un collectionneur. En revanche, j’aime rencontrer les artistes. Dès que j’entretiens un rapport personnel avec l’un d’eux, je suis leur travail. J’ai besoin de connaître un artiste pour mieux comprendre sa démarche. J’ai récemment été voir l’exposition de l’Américain Oscar Tuazon à Los Angeles. Il imagine des installations monumentales, simples par leur construction mais très brutes, en bois et béton. J’ai la chance de posséder une toute petite pièce signée de cet artiste. »
Le tournant
« La collection Automne-hiver 2010 fut pour nous une nouvelle étape : nous sommes passés des hôtels du Crillon et de la Monnaie au palais de Tokyo, bien plus vaste. Ici, les manches de la veste zippée sont dénudées de couches extérieures. J’ai ensuite ajouté une batiste de coton (tissu brillant léger et fin), comme une doublure semi-transparente. L’effet est là : l’allure n’est ni totalement sportswear ni totalement formelle. Le sac à dos brouille les pistes : ce n’est pas vraiment militaire mais, dans la silhouette, ça l’est. »
Le sac hybride
« Je me suis toujours appliqué, chaque saison, à imaginer une forme de sac aux multiples portés : à la main, en bandoulière, dans le dos. Il est transformable grâce aux sangles, aux zips, aux poignées multiples. Et il intrigue en raison des différentes matières assemblées entre elles et des associations de couleurs. Je voulais un sac moins sérieux que le porte-documents ou le shopping-bag. »
La prouesse technique
« La collection Automne-hiver 2011 a mis en lumière l’excellence de nos ateliers. La réalisation de cette doudoune entièrement réversible fut extrêmement complexe. La doublure en laine feutrée, amovible (à l’instar de la capuche), comprend des tas de zips attachés dans le dos et sur les côtés. Une fois de plus, ce va-et-vient entre détails techniques, soupçon sportswear et tradition tailleur est mis en avant. »
L’heureuse élue
Depuis le départ d’Alber Elbaz, la question était sur toutes les lèvres : qui allait lui succéder ? Lanvin vient d’annoncer la nomination de Bouchra Jarrar au poste de directrice artistique des collections femme. Membre permanent de la haute couture depuis trois ans avec sa propre maison créée en 2010, la jeune femme avait auparavant oeuvré chez Christian Lacroix, Jean Paul Gaultier et Balenciaga.