Cœurs artificiels : la greffe commence à prendre
Le temps des silences, des malentendus, et des exagérations serait-il en voie d’être résolu autour du cœur artificiel Carmat ? Plus de vingt-deux mois après la première greffe, on commence à y voir un peu plus clair, on note les limites de cette prothèse mais aussi sa pertinence. En même temps, le panorama des cœurs artificiels prend du relief sortant d’un discours de pur marketing. Ainsi, contrairement à la communication de Carmat, ce cœur artificiel est certes inédit dans sa conception, mais il n’est en rien le seul. Et cela bouge.
Carmat et les autres
Aujourd’hui, Carmat est en suspens, en attente de l’avis de l’Agence nationale de sécurité des médicaments qui doit donner son aval à la poursuite des essais. Le professeur Pascal Leprince, chef du service de chirurgie cardiaque à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, reste confiant. Il est le dernier à avoir greffé, en décembre, le Carmat, sur un patient qui allait décéder une dizaine de jours plus tard. Aujourd’hui, le bilan est le suivant : sur les quatre patients greffés, aucun n’est vivant. «Dans deux des quatre interventions, c’est le cœur qui est en cause, nous explique le professeur Le Prince, et dans les deux autres, si l’on peut dire, c’est le patient. Pour notre part, nous avons eu une complication absolument inédite, qui n’avait rien à voir avec la prothèse.»
Alors que d’ordinaire, les équipes qui greffent cette prothèse (celle de l’hôpital Pompidou à Paris comme celle du CHU de Nantes) se retranchent derrière des propos lénifiants, du genre «tout va bien», Pascal Le Prince parle de façon détendue, même s’il reconnaît que le fait que Carmat soit coté en Bourse complique les choses. «Au début, nous n’étions pas censés participer à l’essai. Mais comme on est une des plus grosses équipes françaises de greffes, on a accepté. D’autant que cette semaine, nous allons fêter les 30 ans de pose de cœurs artificiels à la Pitié, avec le cœur artificiel de la société SynCardia Systems.»
Eh oui, trente ans. Cela fait plus de trente ans que d’autres cœurs artificiels sont implantés. Et fonctionnent. Le cœur SynCardia est aujourd’hui le seul autorisé par la FDA (Fedreal Drug Administration) aux Etats-Unis : plus de 1 500 patients, dont certains depuis plusieurs années, l’ont reçu. SynCardia domine le marché des «cœurs» artificiels. Cependant, ce dispositif est loin d’être parfait. Il est entre autres très bruyant, et il nécessite un important appareillage puisqu’il est accompagné d’une batterie externe, qui n’est pas vraiment discrète. «Carmat a beaucoup d’avantages, il est moins bruyant, sa technologie est impressionnante, et il se révèle dans les essais fiables. Inconvénient, il est lourd, prend de la place, et de ce fait il n’est envisageable que sur des patients dont le thorax est imposant». Le professeur Leprince ajoute : «Le problème, quand on a un nouvel appareil, c’est qu’on l’implante chez des patients très lourds, très sévères, chez des patients qui n’avaient pas d’autres options.» Faudra-t-il, dans les prochains essais, l’implanter à des patients qui auraient pu être greffés d’un cœur humain ? Tout cela reste en suspens.
Les autres et Carmat
Au même moment, montrant bien que tout ne peut se résumer entre Carmat ou rien, l’hôpital Marie-Lannelongue, dans les Hauts-de-Seine, vient de révéler la semaine dernière «l’implantation simultanée de trois types de cœurs artificiels spécifiques aux pathologies de trois patients».
Le premier patient a 66 ans. «Depuis plusieurs mois, il présentait des épisodes récurrents d’œdème pulmonaire témoins d’une défaillance cardiaque gauche irréversible. Un cœur artificiel de type Jarvik 2000 a été implanté de façon définitive pour lui permettre un retour à domicile et la reprise de ses activités physiques», dit le communiqué de Marie-Lannelongue. Autre cas, celui d’un homme de 53 ans qui avait fait «un infarctus touchant les 2 ventricules du cœur à l’origine d’une défaillance cardiaque majeure menaçant sa vie à très court terme». En l’absence de greffon disponible, il a bénéficié de l’implantation d’un cœur artificiel total de type Cardiowest, en attente, lui, d’une greffe cardiaque.
Enfin, une enfant de 12 ans. Elle a développé «une cardiomyopathie irréversible pour laquelle une transplantation cardiaque est nécessaire».«Faute de trouver un greffon adapté à sa taille, un cœur artificiel de type Berlin Heart a été implanté pour la maintenir en vie en attendant de trouver un greffon cardiaque compatible», explique l’équipe de Marie-Lannelongue. «Ces trois patients vont bientôt quitter l’hôpital pour aller en convalescence», ajoute la direction de l’hôpital.
On le voit, les progrès sont continus. D’autres cœurs artificiels sont même déjà en version prototype. Et une équipe de chercheurs du Massachusetts General Hospital vient, pour la première fois, de réaliser une étape importante qui permettrait de créer un nouveau cœur à partir de cellules humaines, selon le journal médical Circulation Research. On en est encore loin, mais le besoin est là. Le marché, aussi : autour de 100 000 malades en Europe et aux Etats-Unis, car seulement 5% des patients qui ont besoin d’une transplantation cardiaque en bénéficient, faute de donneurs.
Eric Favereau