Strauch-Bonart – Que signifie le végétarisme ?
Depuis la découverte des pratiques atroces de cet abattoir du Pays basque, il paraîtrait que 10 % des Français souhaitent devenir végétariens. Pendant ce temps, Aymeric Caron publie un livre à charge contre l’espèce humaine, prônant l’attribution de droits aux animaux et, par la même occasion, un bon régime vegan. Désormais, les nuances font florès : l’un est végétalien, l’autre pescétarien, l’autre enfin flexitarien. Mais cela n’est pas tout : nous avons ajouté à cette palette les régimes sans gluten et sans lactose – régimes dont l’explosion récente laisse à penser que la part des vrais allergiques y est ténue. Inviter ses amis à dîner est devenu un enfer.
Certes, le retrait d’un aliment de son alimentation et sa compensation par d’autres est un choix aussi valable qu’un autre, surtout quand ce choix est instinctif – tel aliment me dégoûte – ou raisonné – tuer les animaux me dégoûte. Mais la consommation de nourriture n’est pas une pratique comme les autres, car elle est autant biologique que sociale. Les interdits alimentaires – car c’est ainsi qu’il faut les appeler – ont toujours existé : fait religieux, ils avaient une double signification, symbolique et concrète. Ainsi interdire le porc n’était pas sans lien avec la crainte d’ingérer un animal à l’hygiène douteuse. Étrangement, alors que l’influence de la religion, chez nous, décroît, le désir de pureté n’a pas disparu, et prend la forme de l’interdit alimentaire moderne. Mais alors que la religion les encadrait, les interdits d’aujourd’hui sont individuels et peuvent cacher un désir de perfection maladif.
L’interdit alimentaire est devenu un mode de vie
Surtout, l’interdit alimentaire s’est transformé en mode de vie. Dans une société où la concurrence par l’image est omniprésente, le régime restrictif ajoute une corde à votre arc, à côté des cours de Pilates et des vacances à Bali. Et dans une société d’abondance, on peut bien se payer le luxe de refuser ce que l’autre moitié de la planète dévorerait sans chichis.
En définitive, les nouvelles modes alimentaires expriment un refus du commun dans les deux sens du terme – le commun comme repas identique partagé par tous, et le commun comme banal. Manger ce que tout le monde mange, quelle banalité ! Le choix alimentaire devient donc un moyen de définition et de distinction. Paradoxalement, il permet aux semblables de se retrouver : le repas commun réunit des gens aux goûts distincts, mais qui font l’effort de partager un repas ; inversement, la restriction alimentaire permet de cultiver l’entre-soi et empêche d’aller vers ce qui est nouveau et différent. L’obsession de l’originalité mène donc à l’uniformité et au conformisme.
Que signifient le végétarisme et ses dérivés ? Beaucoup de choses de notre temps. Ce sont désormais des signes d’identité – l’identité comme définition de soi, mais aussi comme quête du semblable. Une identité bien limitée, où ce que je suis compte bien davantage que ce que je fais.