Présidentielle au Pérou : vers un retour du clan Fujimori ?
Le second tour de l’élection présidentielle au Pérou pourrait sceller dimanche le retour au pouvoir du clan d’Alberto Fujimori, ancien président incarcéré pour crime contre l’humanité et dont la fille, Keiko, est favorite du scrutin. Dans ce pays andin où le vote est obligatoire, 23 millions d’habitants sont appelés aux urnes à partir de 8 heures (13 heures GMT) et jusqu’à 16 heures (21 heures GMT). Les premiers résultats sont attendus vers 21 heures (2 heures GMT lundi).
Candidate pour le parti Fuerza Popular (droite), Keiko Fujimori, 41 ans, est depuis des mois en tête des sondages, même si elle a récemment perdu de son avance. Les dernières enquêtes d’opinion, diffusées vendredi, la créditent de 50,3 à 52,1 % des intentions de vote, contre 47,9 à 49,7 % pour son rival Pedro Pablo Kuczynski, ex-banquier de Wall Street de 77 ans et candidat de centre-droit. Pour succéder à l’actuel président de gauche Ollanta Humala, au pouvoir depuis 2011 et qui ne se représentait pas, « la course promet d’être serrée », estime Adam Collins, analyste de Capital Economics, dans une note.
Des milliers de manifestants
Au premier tour, le 10 avril, Keiko Fujimori avait fini largement en tête, raflant 39 % des suffrages, contre 21 % pour Kuczynski. Mais depuis, ce dernier a bénéficié d’un front anti-Keiko (comme on l’appelle dans le pays), obtenant notamment le soutien de Veronika Mendoza, arrivée troisième avec 18,74 % des voix. « Pour barrer la route au fujimorisme, il faut voter PKK », surnom de Pedro Pablo Kuczynski, a clamé la jeune parlementaire de gauche. Entre les deux tours, des milliers de personnes ont manifesté pour dire « Non à Keiko ». En effet, derrière la candidate plane l’ombre d’Alberto, aujourd’hui âgé de 77 ans : descendant d’immigrants japonais, il a présidé le Pérou de 1990 à 2000 et son héritage continue de diviser le pays.
Une partie de la population le salue comme l’homme qui a combattu avec succès le Sentier lumineux et dopé l’économie. Mais d’autres se souviennent des méthodes autoritaires de celui qui a commandité deux massacres perpétrés par un escadron de la mort en 1991-1992, dans le cadre de la lutte contre cette guérilla. Son bilan sulfureux lui a valu d’être condamné en 2009 à 25 ans de prison pour corruption et crime contre l’humanité, après une rocambolesque fuite au Japon puis au Chili.
Discours sécuritaire
Keiko Fujimori ambitionne de « devenir la première femme présidente du Pérou », comme elle l’a clamé en clôture de campagne jeudi soir. Mais elle « est une figure qui divise fortement et son élection risque de provoquer le mécontentement populaire », souligne Adam Collins. Ayant soigneusement pris ses distances avec son père, contrairement à ce qu’elle avait fait lors de sa candidature infructueuse de 2011, Keiko Fujimori a fait campagne sur un ambitieux plan sécuritaire, la violence liée au crime organisé étant une des premières préoccupations des Péruviens. « De nombreux sympathisants de Keiko se souviennent d’un gouvernement [celui de son père, NDLR] très ferme contre le terrorisme et pensent qu’elle peut avoir la même fermeté contre la délinquance », observe Maria Luisa Puig, analyste péruvienne du cabinet Eurasia à Londres.
Ancien Premier ministre et lui aussi fils d’immigrants (père allemand et mère franco-suisse), Pedro Pablo Kuczynski joue sur le même registre : « Ceux qui tuent, en prison. Ceux qui violent aussi. Et pour ceux qui harcèlent, une raclée », a-t-il lancé jeudi lors d’un meeting. Le pays de 31 millions d’habitants, un des premiers producteurs au monde de cocaïne, est aussi confronté au ralentissement économique, à la pauvreté endémique et aux conflits sociaux et environnementaux causés par l’activité minière, centrale au Pérou. « PPK est soutenu par les classes aisées et urbaines. À l’inverse, ce sont les personnes défavorisées et âgées, dans les zones rurales, qui votent Keiko. Ce sont des personnes qui sont nostalgiques de l’héritage d’Alberto Fujimori », estime Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Opalc, observatoire de Sciences Po Paris sur l’Amérique latine.