Nice : bientôt les premières indemnisations pour les victimes
Les premières indemnisations des victimes de l’attentat qui a touché Nice le 14 juillet, où 84 personnes sont mortes, 202 ont été blessées et de nombreuses autres choquées, auront lieu « dès la fin de la semaine prochaine », a indiqué ce samedi la secrétaire d’État à l’Aide aux victimes, Juliette Méadel. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (FGTI), chargé des indemnisations, « doit verser de premières provisions. J’ai demandé que ça intervienne dès la fin de la semaine prochaine », a déclaré la ministre depuis Nice, où elle se trouvait samedi. Plusieurs associations de victimes ont dit craindre que les personnes traumatisées à Nice, de par leur grand nombre et la difficulté qu’elles auront à prouver leur présence sur les lieux de l’attentat, soient privées de toute indemnisation.
Blessures physiques et psychologiques
Des milliers de personnes présentes sur la promenade des Anglais jeudi soir, lorsque le tueur a fauché au volant de son camion des centaines d’entre elles, ont potentiellement pu être ébranlées par le carnage, assurent-elles. « Nous veillerons à ce que les victimes, qu’elles soient choquées ou qu’elles soient indirectes (des parents de victimes, NDLR), soient indemnisées », a-t-elle assuré après avoir visité la cellule d’aide niçoise située au Centre universitaire méditerranéen (CUM). Ces personnes pourront notamment faire établir leur « préjudice » par un « examen psychiatrique » ou au moyen d’un « dépôt de plainte » dans un commissariat, a-t-elle expliqué, ajoutant que les victimes étrangères sont également concernées. « À la suite d’une telle tragédie, les blessures psychologiques peuvent causer des souffrances aussi profondes et durables que les blessures physiques », a déclaré samedi le député LR des Alpes-Maritimes et président du département Éric Ciotti. « Aussi, je demande à la ministre de la Santé d’engager, sans attendre, une réforme du statut des victimes d’attentats qui permette de reconnaître les traumatismes sous toutes leurs formes et de prendre en charge leurs conséquences », a-t-il poursuivi.
Le FGTI, créé en 1986, alors que la France connaissait une vague d’actes de terrorisme liés à la situation au Proche-Orient, dispose d’une réserve de 1,3 milliard d’euros, selon Juliette Méadel. Environ 300 à 350 millions seront prélevés pour les attaques du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis, estimait en mai ce fonds. Des experts craignent qu’il n’atteigne ses limites financières du fait du grand nombre de victimes à Nice. « D’une manière ou d’une autre, si c’est nécessaire, l’État sera présent. Ce n’est pas un sujet » de préoccupation, a rassuré la secrétaire d’État chargée de l’Aide aux victimes, qui s’est par ailleurs montrée satisfaite des premières étapes de leur prise en charge. « À ce stade, ce que j’ai constaté, c’est que la cellule interministérielle d’aide aux victimes a été déclenchée tout de suite, que le numéro d’urgence a été activé au bout de 1 h 30, que le centre d’accueil des victimes à Nice est très bien agencé et qu’un gros travail a été réalisé sur l’accompagnement. Le dispositif semble répondre aux besoins du public, même si nous ne sommes qu’aux débuts » du processus d’aide, a-t-elle souligné. Les victimes des attentats du 13 novembre avaient critiqué de trop longs délais dans leur première prise en charge. Les numéros d’urgence avaient alors été saturés pendant une demi-journée.
La crainte du parcours du combattant
« Comment vont-ils pouvoir démontrer qu’ils étaient présents? » Après l’attentat de Nice, des associations de victimes, échaudées par des ratés du 13 novembre, redoutent un parcours du combattant pour les milliers de traumatisés de la Côte d’Azur en quête d’indemnisation. « Ça va être le bazar, surtout pour les victimes psychologiques », prédit Caroline Langlade, vice-présidente de l’organisation Life for Paris. Et de pointer, huit mois après les attaques djihadistes du 13 novembre qui ont fait 130 morts, une importante différence de traitement entre, d’un côté, les blessés et les familles des défunts et, de l’autre, les personnes traumatisées, selon elle moins bien prises en charge.
Dans cette seconde catégorie, une distinction s’est aussi faite entre les spectateurs du Bataclan, qui « ont pu justifier de leur présence grâce à leur place de concert », et les personnes présentes sur les terrasses de cafés et restaurants parisiens ou au Stade de France, pour qui ça a été « beaucoup plus compliqué », assure-t-elle. Or à Nice, où 84 personnes sont mortes et quelque 300 ont dû être prises en charge par des établissements de santé, des milliers de personnes déambulant sur la promenade des Anglais jeudi soir ont potentiellement vu le tueur faucher les promeneurs avec son camion, subissant un traumatisme évident, estime Caroline Langlade. 30 000 personnes étaient présentes pour le feu d’artifice du 14 Juillet. Mais aucune d’entre elles ne détient de preuve officielle de sa présence. « Ça promet de longs débats » au sein du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), chargé de leur indemnisation, observe Michèle de Kerckhove, présidente de l’Institut d’aide aux victimes et de médiation (Inavem). Le FGTI, financé en grande partie par un prélèvement sur les contrats d’assurance des entreprises, risque en outre de toucher ses limites financières, du fait du nombre de victimes à Nice, remarque-t-elle. Certaines indemnisations peuvent monter à « des dizaines de millions d’euros », expliquait en mai à l’AFP Guillaume Clerc, du FGTI. Me Aurélie Coviaux, spécialiste de la réparation du préjudice corporel, dont le cabinet défend plusieurs victimes du 13 novembre, ne croit pourtant pas à un tel scénario.
« L’État sera présent »
Avec 1,3 milliard d’euros en réserve, dont 300 à 350 millions seront prélevés pour les attaques de Paris et de Saint-Denis, « il faudrait un paquet d’attentats pour épuiser les liquidités » du fonds, objecte-t-elle. Le FGTI, créé en 1986, en pleine vague d’attentats liés à la situation au Proche-Orient, est « un très beau système, qu’on est pratiquement les seuls au monde à avoir », reconnaît Me Coviaux, qui déplore toutefois ses carences, notamment dans son rapport aux victimes psychologiques. « Parfois, on apporte la preuve qu’elles étaient présentes sur les lieux des attentats avec des photos, des textos et même leurs coordonnées GPS, raconte-t-elle. Mais ils font quand même la sourde oreille. » Ainsi, une de ses clientes, qui a subi plusieurs fractures lors d’un mouvement de panique au Stade de France le 13 novembre et qui est « partie civile contre Salah Abdeslam », « n’a même pas accès au fonds ». Caroline Langlade cite, elle, l’exemple de passants qui ont assisté depuis « les passages cloutés » sur la chaussée à l’anéantissement d’une terrasse parisienne, où 19 personnes sont mortes. Malgré leur détresse, ils ont été considérés comme trop éloignés des faits et « retirés de la liste des victimes » sans indemnisation possible. L’attentat de Nice, en ce sens, appelle à « enfin définir » juridiquement « ce qu’est une victime de terrorisme » pour éviter ce genre d’hérésie, souligne Emmanuel Domenach, le vice-président de l’association 13 novembre : fraternité et vérité. Le député Les Républicains des Alpes-Maritimes Éric Ciotti a aussi demandé « une réforme du statut des victimes d’attentats qui permette de reconnaître les traumatismes sous toutes leurs formes ».