Pascal Praud – Chroniques de Noirmoutier (3)
Retrouvez ici le premier épisode des Chroniques de Noirmoutier et ici le deuxième épisode.
Dimanche 24 juillet
Lillian est reparti. Pour Dunkerque et pour longtemps. Lou a les yeux rouges. Elle dit qu’elle a nagé trop longtemps dans l’océan. Mon bébé est en béton armé. Lou vit son été de porcelaine. Il n’y a rien à ajouter. Juste à écouter la bande-son de L’Hôtel de la plage. À propos, je me demande ce que devient Sophie Barjac.
Au dîner, Lou n’a pas touché ses pommes de terre Findus qu’elle préfère à celles de Noirmoutier. Et cette nuit pour la première fois depuis le 14 juillet, elle ne sortira pas. « Je suis un peu crevée. » Je préfère quand elle me raconte des craques, qu’elle m’envoie un SMS à 3 h 7 pour signaler qu’elle est rentrée alors qu’elle est encore sur la plage des Dames.
Quand j’étais ado, il y avait toujours un vieux schnock ou une veille chouette pour expliquer qu’ « une de perdue, dix de retrouvées. » À l’époque, je prenais mon walkman et j’écoutais Le Cœur grenadine de Voulzy. Lou a disparu vers 21 h 30 en me demandant si j’étais déjà allé à Dunkerque. « Pourquoi veux-tu que j’aille à Dunkerque. Y a pas d’équipe de foot en Ligue 1. » Je lui ai arraché son seul sourire de la soirée.
Ainsi filent les vacances. Douzième jour sans rien faire. Paris est loin. Je ne sais si on est samedi ou dimanche, le 23 ou le 24 juillet. J’ai oublié le mot de passe de mon ordinateur à i>Télé. Ma voiture est en panne, mais je m’en fiche. Pour la première fois en 2016, je n’ai pas pris de douche ce matin. Mon portable ne sort plus de la table de nuit. Je ne me réveille plus à 6 h 30. Je crois que j’ai trouvé mon rythme.
Lundi 25 juillet
Dîner chez Dominique Grimault. Si vous ne connaissez pas l’ami Dominique, pensez à Gérard Darmon, dont il pousse la ressemblance jusqu’à imiter la voix.
Quand je dis dîner, je devrais dire pique-nique. Les invitations sont lancées au dernier moment. On apporte ce qu’on veut. La merguez est une valeur sûre. Mes amis ne sont pas clients chez Naturalia. Il n’y a pas d’emmerdeurs ou d’emmerderesses pour nous bassiner avec le gluten. Certains soirs, c’est viande rouge ou viande rouge. Et que le petit Caron ne se pointe pas à Noirmout’, ou on lui fera manger une côte de bœuf.
Boire un verre de vin équivaut à tirer un billet de loterie, vu que les bouteilles sont dispatchées au petit bonheur la chance sur la table, qu’il y a de tout, de la bibine en cubi et du cru bourgeois, de l’ AOC et même du Saumur Champigny, un truc de la Loire qui arrache et avec lequel j’ai du mal. Ça picole gentiment, mais comme on rentre en vélo ou à pied, personne ne finira au poste.
Les femmes fument des légères. Les hommes tapent dans leurs paquets. Le Collège de France ne valide pas les discussions. On ne parle jamais football. Après minuit, les conversations dérivent, comme les Optimist, ces petits bateaux, genre coque de noix sur lesquels on apprend la voile, entre 6 et 8 ans. On parle de cul, quoi.
Je regarde les couples qui vont bien, ceux chez qui je sens de l’eau dans le gaz. Untel et Unetelle ne passeront pas l’hiver. Je m’étais fait la réflexion l’an passé. Et cette année, ils sont encore là. Va savoir ce qui se passe quand la porte de la chambre se referme. C’est un mystère, les couples. C’est un miracle aussi. Pardon mais j’ai une théorie là-dessus. Chacun devrait réfléchir au moment de s’engager. Si vous n’aimez pas la bouche, le nez, le sexe, la peau, l’odeur de votre chérie (avec ou sans e), si vous n’aimez pas ses dents, ses cheveux, ses oreilles et tout, et tout, s’il y a quelque chose qui cloche, un conseil : n’achetez pas la robe de mariée, oubliez le chapeau haut-de-forme et annulez le traiteur. S’il y a un doute, abstenez-vous. Déjà, c’est compliqué. Pas la peine de partir avec des handicaps…
Mardi 26 juillet
Il y a un type qui se balade à Noirmoutier avec une Rolls-Royce. Je l’ai aperçu. Il s’agit d’une Rolls décapotable, bleu marine métallisé, avec des fauteuils de cuir beige, conduite par le genre Grégory Peck. Au Café Noir, il est question d’aller chiper la prochaine nuit l’automobile du garçon coiffeur et de la balancer dans le port. Sauf que personne ne sait où crèche Grégory Peck ni d’où arrive ce mirliflore.
Quelle idée de rouler sa caisse avec un truc pareil !
Avec ma chérie, on a loué deux vélos. Elle voulait un tandem. J’ai répondu qu’on aurait l’air con et j’ai pris les deux biclous. Elle est du genre à décider pour deux, mon amoureuse. Faut que je me méfie. Parfois, je lui chante Vesoul, la chanson de Jacques Brel : « T’as voulu voir Honfleur. Et on a vu Honfleur. » Mais je te préviens, on prendra deux vélos. Ce matin, on a filé sur les routes, en dehors du village. C’est plein de maisons et autant de jardins. Je chantais à tue-tête Étoile des neiges. Et bien vous savez quoi ? Quelqu’un a répondu en écho : « Mon cœur amoureux. »Je l’ai entenduquand je roulais à toute berzingue.
Plus loin, j’ai salué une dame qui était accoudée au portail de son potager. Elle portait une robe à fleurs et elle regardait passer les cyclistes. J’ai dit bonjour. Elle a dit bonjour. C’est tout.