Pokémon Stop : pas suffisant au volant

Jouer ou conduire, il faut choisir. Mais, en réalité augmentée, la nouvelle fébrilité des adeptes du jeu de Niantic pousse à tous les débordements. Nous le signalions ici même dès les débuts du jeu en France : les accidents de la circulation se sont multipliés. À cela, une bonne raison : plus la vitesse de déplacement est élevée, plus les accros du jeu néo-rétro ont de chances d’attraper les virtuels Pikachu, Bulbizare et autres Carapuce. Ceux-ci se cachent un peu partout dans le monde réel et plus on parcourt de terrain, plus on a de chances d’en capturer, voire de dénicher un spécimen rare. « Les transports – voitures, motos, scooters, vélos – sont donc le moyen idéal d’augmenter son score rapidement. Certains joueurs confessent même prendre leurs véhicules dans l’unique but de chasser. »

Pokémon et conduite © DR

Devant la recrudescence des accidents, une mise à jour, réclamée notamment par les associations de sécurité routière, va permettre de signaler au joueur qu’il devrait abandonner le jeu alors que son véhicule s’est mis à rouler. Basée sur la fonction GPS qui enregistre un déplacement plus rapide que la marche à pied, la nouveauté fait automatiquement apparaître à l’écran une fenêtre pop-up indiquant qu’il n’est pas possible de jouer en conduisant un véhicule.

Fonction « passager »

Seulement voilà, cette nouveauté étant inspirée des logiciels GPS qui proposent la même fonction, il suffit pour faire sauter la barrière de cocher la case « je suis passager ». Pour faire un selfie, écrire un SMS, regarder une vidéo ou jouer à Pokémon GO. Même si c’est faux, la précision du GPS ne permet pas encore de vérifier si c’est la place droite ou la place gauche qu’occupe le joueur. De ce fait, excepté pour l’utile mise en garde, le dévot du Pokémon pourra continuer à jouer en toute impunité. Ou presque, car si l’accident qui pourrait survenir est grave et implique des dédommagements importants, l’enquête diligentée par les assurances permettra à coup sûr, en expertisant le téléphone de l’accidenté, de savoir s’il jouait au moment précis des faits. Le GPS et l’horloge continuent, en effet, d’enregistrer les paramètres des déplacements.

Pokémon Go au volant © DR


La responsabilité de l’éditeur Niantic serait ainsi dégagée de toute poursuite ultérieure, l’avertissement à l’usager ayant été fait au moment adéquat. Face à la multiplication des accidents et des infractions routières, Niantic reporte donc la responsabilité sur le joueur-conducteur, mais les adversaires de plus en plus nombreux de ce jeu addictif voudraient dépasser le simple avertissement. Ils prônent, en effet, une coupure pure et simple du jeu dès l’instant que le GPS du smartphone enregistre un déplacement plus rapide que celui de la marche. Car les automobilistes, en particulier les jeunes, les plus gros contributeurs aux accidents de la route (lire notre enquête), ne sont pas les seuls à faire fi des règles élémentaires de sécurité routière : les vélos, les deux-roues motorisés et les usagers des transports en commun continuent de « pokémoner » sans relâche. Mieux encore, de nombreux piétons, obnubilés par leur quête, oublient de lever les yeux de leur téléphone avant de traverser la route.

Forêt d’addictions

« Cette application transforme la route et la rue en un immense terrain de jeu sans se soucier du danger que cela représente », souligne Christophe Ramond, le directeur études et recherche de l’association Prévention routière. De son côté, l’association 40 Millions d’automobilistes, qui évalue à « 3,4 millions » le nombre de personnes « qui jouent au volant », souhaite également la création d’une « charte de responsabilité ». « Le jeu est bien fait et marrant, mais il joue sur la rareté et faire apparaître des Pokémon sur l’autoroute, c’est un peu un pousse au crime », souligne son directeur général, Pierre Chasseray. On pourra estimer que les conducteurs de véhicules à moteur devraient être totalement interdits de jeu et que les usagers des transports en commun y seraient toujours autorisés. Un raffinement du logiciel qui resterait à mettre au point et que Nantic ne semble pas décidé, pour le moment, à mettre en oeuvre.

Pokémon et conduite © DR

« Pokémon Go, c’est l’arbre qui cache la forêt d’un usage du téléphone addictif et délirant. Tout usage du téléphone au volant, que ce soit pour jouer, appeler ou envoyer des SMS, est dangereux », a rappelé le délégué interministériel à la Sécurité routière, Emmanuel Barbe. Captivés par l’apparition de cibles sur leurs portables, les joueurs oublient que l’usage du téléphone – même sans jouer – est passible de 135 euros d’amende et d’un retrait de trois points sur le permis. En attendant, sur les autoroutes fleurissent les panneaux d’avertissement invitant les usagers à lâcher leur Pokemon Go et à tenir le volant.