Sonia Rykiel : mort d’une femme affranchie
Reconnaissable entre mille, la mode de Sonia Rykiel aura préfiguré la libération du corps des femmes dans sa version chic et désinvolte, très germanopratine. Surnommée la reine du tricot, la couturière parisienne a indéniablement inscrit son style dans l’histoire de la mode, instaurant la désormais célèbre « allure Rykiel ». Son décès, qui intervient en pleine polémique sur le burkini, a d’ailleurs donné l’occasion à François Hollande de rendre hommage à une « femme libre, une pionnière qui a su tracer sa voie ». Sonia Rykiel « a inventé non seulement une mode, mais aussi une attitude, une façon de vivre et d’être, et offert aux femmes une liberté de mouvement », a ajouté le chef de l’État, qui avait élevé la créatrice au rang de Grand Officier de l’Ordre national du mérite en novembre 2013.
Retour sur le parcours d’une femme affranchie.
REGARDEZ Sonia Rykiel dans « Des mots de minuit » en 2009…
Les débuts d’une autodidacte
Sous son invariable frange rousse automne et son carré légèrement frisotté, cette Parisienne aux accents russo-roumains est devenue une légende de la mode par le plus grand des hasards. Mariée à Sam Rykiel en 1954, propriétaire de Laura, une boutique de vêtements du 16e arrondissement, la jeune autodidacte tricote innocemment ses premiers pull-overs, qui sans qu’elle s’en doute deviendront sa marque de fabrique. N’ayant reçu aucune formation de styliste – et les pull-overs étant jusque-là plutôt déconsidérés –, Sonia Rykiel demande à l’un des fournisseurs de son mari de lui créer un pull court, confortable, pratique et discret pour son usage personnel.
La jeune femme l’ignore, mais à travers cette requête, c’est l’allure Rykiel qui est en train de naître : un style chic et décontracté, alliant désinvolture et élégance. Rapidement, la styliste en herbe se découvre une véritable vocation et parvient à se faire connaître. De fil en aiguille, les acheteuses se manifestent et, en 1963, le magazine ELLE met à la une Françoise Hardy habillée d’une fine maille Rykiel rayée de rose et de rouge. C’est la consécration ! Audrey Hepburn en personne cède à la tentation « Rykiel » et la première boutique Sonia Rykiel voit le jour rive gauche, au 6 rue de Grenelle, à quelques pas du domicile de la couturière à Paris.
Carton
À travers la réhabilitation du bon vieux pull-over, Sonia Rykiel met au goût du jour une mode nouvelle, dédiée aux femmes libres et actives. Des créations plus réalistes que les tailleurs étriqués, les tops aux carrures surdimensionnés ou les infamants corsets. À l’affiche : pulls-chaussettes, mailles fines, tricots fluides laissant découvrir une épaule… Jamais rassasiée par la nouveauté, la couturière lance la célèbre « démode » dans les années 75 : une mode à contre-courant qui met à l’honneur coutures et ourlets pour toujours plus de liberté d’évolution dans le vêtement. À cette époque, le noir, le rose, les rayures, les paillettes et les messages sur pull-overs caractérisent la mode de la couturière germanopratine. Le succès est au rendez-vous et les boutiques s’ouvrent aux quatre coins du monde.
Enfin précurseur – et peu snob –, la rousse mutine se risque avec l’une des premières collaborations en 1977 en s’associant avec la marque Les 3 Suisses. Résultats des courses : un véritable carton ! Victime de son succès, la pétulante couturière s’embarque toujours dans de nouvelles aventures (parfum, collection pour enfant, ligne de chaussures, collection homme…) avant de passer le flambeau à sa fille, Nathalie, qui l’épaule depuis l’âge de vingt ans.
Enfin à ceux qui pensent que la mode est un univers sans pitié où chaque créateur – mégalo, forcément – tente un peu plus chaque jour de tirer la couverture en orylag à lui, Sonia Rykiel prouve le contraire. En 2008, loin de l’arrivisme, une quarantaine de créateurs (Jean Paul Gaultier, Ralph Lauren, Martin Margiela …) se sont donné rendez-vous pour fêter les quarante ans de carrière de la petite dame rousse autour d’un défilé anniversaire surprise. Une façon de rappeler que les grands êtres rassemblent.