La Baule : Nicolas Sarkozy ou l’art du contrepied
Ses pieds s’agitent sous la table recouverte d’une nappe bleue dans la maison de la presse du centre-ville de La Baule. Nicolas Sarkozy a commencé sa séance de dédicaces depuis quelques minutes mais, déjà, le voici qui trépigne. Dehors, des dizaines de militants ont organisé la claque pour l’accueillir, à présent ils attendent la sortie de leur champion pour scander à nouveau leur « Hollande en Corrèze, Sarkozy à l’Élysée ».
Coincé sur sa chaise, l’ancien président attend avec fébrilité le moment de sa montée sur scène, deux heures plus tard. Il a en tête le discours qu’il prononcera devant les militants réunis place des Salines. Sur son visage apparaît le sourire en coin de celui qui prépare un bon coup.
Ode à la primaire
La veille, ses concurrents ont déroulé des discours lisses, manifestement décidés à ne pas décevoir davantage les militants, écœurés par les attaques ad hominem du week-end précédent. Dans le public, de nombreux adhérents LR avouent volontiers leur déception d’avoir entendu le calme et modéré sarthois François Fillon se laisser aller à de telles critiques de l’ancien président. Est-ce grâce à sa tournée des librairies au contact de « la France populaire », dixit lui-même, aux ressentis de terrain que lui transmettent quotidiennement ses équipes ou à son intuition que Nicolas Sarkozy a senti que ce 4 septembre il devait, pour séduire, servir aux militants un discours le plus apaisant, le plus rassembleur possible ? Sans doute un mélange des trois.
Peu importe que le rival de Juppé, Fillon, Le Maire et les autres n’en pense pas moins, peu importe qu’en petit comité, il raille l’âge d’« Alain », son gauchisme décalé, quand il ne moque pas le manque de loyauté de « Bruno » et « l’étonnant énervement » de « François ». À la tribune, il veut apparaître comme le sage garant de l’unité, acceptant même de légitimer pour l’occasion le processus de primaire qui l’année dernière lui donnait encore de l’urticaire. « C’est la première fois dans l’histoire de notre famille que nous sommes engagés dans une primaire, c’est un changement majeur, cohérent avec ce qu’est le paysage politique français. Quand on a des extrêmes à ce niveau, on ne peut pas se payer le luxe d’avoir plusieurs candidats. »
Pugilat ou alternance
Alors que les juppéistes admettent en « off » leurs craintes des réactions sarkozystes virulentes en cas de victoire de Juppé, Sarkozy, lui,
lance à ses concurrents un avertissement public : « La première qualité en politique, c’est la lucidité, et la lucidité me conduit à dire que la primaire a des exigences : le choix que vous ferez devra être respecté par tous. » Car, jure-t-il, pas d’alternance possible dans la division. « Je veux dire avec force qu’il n’y aura pas d’alternance si la campagne de la primaire devait continuer sur la base d’un pugilat, il n’y aura pas d’alternance si pendant deux mois et demi il n’y a qu’un champ de bataille. » De là à imaginer un code de bonne conduite comme l’a proposé Alain Juppé… « Je n’aime pas le code de bonne conduite, j’aime la bonne conduite ! » Pour appuyer son propos, il poursuit d’une voix presque émue : « Comme je suis content quand j’entends Laurent (Wauquiez, NDLR) parler de Nathalie (Kosciusko-Morizet) et Nathalie écouter Laurent, je me dis : que de chemin parcouru. »
Encore une dernière mise au point : « J’ai fait un choix que j’assume : celui de ne répondre à aucune attaque, celui de ne pas souffler sur des braises que je ne veux pas attiser », puis une ultime mise en garde contre « les affrontements suicidaires qui ont tant de fois émaillé notre vie politique », histoire que le message infuse, et Sarkozy peut enfin renouer avec lui-même. « Je ne serai pas le candidat qui propose un peu de droite et un peu de gauche. Je ne serai pas le candidat qui propose l’hypothétique voie du juste milieu, la voie de l’immobilisme tranquille. » Voilà pour Juppé. Gageons que Fillon et Le Maire n’auront pas à attendre longtemps avant d’avoir droit, à leur tour, à des piques bien senties. Vive l’unité !