EXCLUSIF. Le quinquennat de François Hollande vu par Michèle Cotta
En cette fin de quinquennat, les livres politiques foisonnent. Mais tous ressemblent à des plaidoyers pro domo. Tel conseiller éconduit veut régler ses comptes, tel ministre déçu veut défendre sa politique, tel ambitieux veut prendre date pour l’avenir. Mais aucun de ces auteurs n’a la hauteur de vue qu’exigent l’époque et les événements.
Dieu merci, les plumitifs ont trouvé leur maître. Ou plutôt leur maîtresse. Dans Comment en est-on arrivé là. Histoire d’un chaos politique, Michèle Cotta a fait le job : rencontrer un à un tous ceux qui, dans la majorité et dans les oppositions, ont politiquement compté dans ces cinq dernières années. Des députés de terrain aux grands barons locaux, des ministres qui comptent aux secrétaires d’État moins gâtés, des nostalgiques des années Mitterrand aux jeunes loups des cabinets ministériels, elle les a cuisinés à sa sauce en leur posant souvent les trois mêmes questions : « Où sommes-nous ? », « Où allons-nous ? » et « Quels sont vos rapports avec François Hollande ? ». L’ensemble offre aux lecteurs un livre cohérent et très documenté. Michèle Cotta – dont on retrouve les analyses politiques sur Le Point.fr – est partout à la fois. Deux mois après l’installation du gouvernement, elle connaît déjà la forteresse de Bercy comme sa poche. Elle a jaugé et jugé Montebourg, Moscovici et Cahuzac, dont elle loue le sérieux et la maîtrise des dossiers. Si l’on voulait être ironique, on dirait qu’elle voit les ministres de François Hollande plus souvent que le président lui-même.
Savoir, comprendre et apprendre
Dès l’été 2012, elle sent poindre la catastrophe. La cacophonie gouvernementale, un Premier ministre sans charisme ni autorité, un président qui louvoie, une première dame incontrôlable, des alliés de gauche qui doutent puis se rebiffent et un président sourd et aveugle… En vieille routière des arcanes du pouvoir, elle saisit bien vite que tout cela n’ira pas très loin. Et, de quelque côté qu’elle se tourne, soeur Michèle ne voit rien venir. La gauche se décompose, la droite ne sait pas se reconstruire après la défaite de 2012, Marine Le Pen taille bruyamment sa route, les souverainistes redoublent de populisme et le centre s’atomise un peu plus. Ce spectacle ne l’enchante pas, elle se décourage même parfois devant tant de médiocrité, de renoncement, de bêtises, de mensonges et de mépris des électeurs. Mais, dès que « ça sent la poudre », l’ancienne patronne de la Haute Autorité revêt son battle-dress pour savoir, comprendre et apprendre. Puis faire partager son expérience et ses convictions à ses lecteurs. Dans le désastre politico-médiatique des années 2012-2016, Michèle Cotta s’attache plus particulièrement à deux personnages pour lesquels elle ne dissimule pas sa tendresse. Dans ce no man’s land, Manuel Valls, dont elle subodore l’avenir dès son installation place Beauvau, et Emmanuel Macron, qui ne la laisse pas indifférente, sont ceux qui la désespèrent le moins…
Extraits de Comment en est-on arrivé là. Histoire d’un chaos politique de Michèle Cotta (éditions Robert Laffont)
Manuel Valls, le 19 février 2014
Manuel Valls m’ouvre la porte de son bureau, à 18 h 30 pile. Il est mince, pâle, souriant, avec ses cheveux bruns sur le front, en une frange irrégulière. Il est vêtu, pour une fois, de sombre. Je lui demande quels combats l’ont marqué depuis la rentrée. Tout, depuis cette rentrée, lui a paru difficile. « Je ne veux pas me plaindre ni jouer les victimes, mais c’est un fait que j’ai dû faire face à de nombreuses polémiques, qui n’ont pratiquement pas cessé. La sortie de ma note sur la réforme de la justice, dans Le Monde, sciemment tronquée. Puis mes propos sur l’immigration et les sans-papiers, tenus à l’occasion d’un séminaire gouvernemental, et (mal) répétés. » Il ajoute à cela la sortie de Cécile Duflot, très violente contre lui au sujet des Roms, à la fin de l’automne dernier, et abondamment relayée par la presse. Et puis l’affaire Leonarda : « Le missile m’était en réalité destiné. » Personne, en effet, ne l’a épargné. Le Premier ministre notamment a eu au Parlement une phrase pour le moins malvenue : « S’il y a eu faute, la famille reviendra. »
« Au lieu de laisser croire qu’il y avait eu faute de la part du préfet, donc du ministre de l’Intérieur, Jean-Marc aurait mieux fait de dire que la famille ne reviendrait pas, sauf si, en effet, il y avait eu faute… D’autant que ses propos ont été repris par les parlementaires socialistes, puis par le PS lui-même. La déclaration de Peillon sur la nécessaire sanctuarisation de l’école, à la sortie du conseil des ministres qui a suivi, ne valait guère mieux, ainsi que la déclaration de Valérie Trierweiler (*), tout cela au moment où les lycéens étaient dans la rue. Sans oublier les attaques de Mélenchon. »
Il a raison, cela fait beaucoup sur ses épaules, je comprends qu’il trouve le temps long et difficile. L’affaire Leonarda l’a d’autant plus éprouvé que le dossier, affirme-t-il, était administratif et politique. Les élus socialistes du Doubs, qui s’occupaient dans leur département des familles roms, lui ont dit n’avoir de problèmes d’intégration qu’avec un seul père de famille, celui de Leonarda. D’autres Roms, dans ce même groupe, ont obtenu leurs papiers. Le rapport demandé au ministère de l’Intérieur a confirmé, un peu plus tard, le comportement, jugé agressif, du père. « Sur cette histoire, je ne suis pas arrivé, et pas plus le Premier ministre, à protéger François Hollande. Bref, depuis le mois de septembre, conclut-il, que de montées d’adrénaline ! »
L’affaire Dieudonné n’a pas contribué à adoucir ce climat : Manuel Valls pense qu’il s’agit là de son combat républicain le plus important. Il est convaincu que les propos défendus et propagés par l’amuseur portent atteinte à la dignité humaine, qu’ils constituent une incitation à la haine de l’autre, à l’antisémitisme, au racisme. En d’autres termes, oui, s’il avait à refaire ce qu’il a fait, c’est-à-dire interdire le spectacle de Dieudonné, baptisé Le Mur, il le referait. Il me confie néanmoins avoir été inquiet au moment, le 9 janvier, où il a saisi en urgence le Conseil d’État pour faire valider cette décision. Il se trouvait en Bretagne, en train de féliciter policiers et gendarmes locaux en lutte contre les inondations, tout en attendant la sentence du Conseil d’État. Une décision négative aurait été pour lui un désaveu cuisant, au moment où beaucoup, à gauche, jugeaient inutile et néfaste sa volonté de ne rien céder sur ce sujet, tandis que d’autres dénonçaient une atteinte à la liberté d’expression. Manuel Valls est donc un homme qui, pour ses convictions, est capable de prendre le plus grand risque politique. Pas si mal.
Le paradoxe est que Manuel Valls, jusqu’alors personnalité la plus populaire du gouvernement, a chuté lourdement dans les sondages après cette affaire. Preuve que la conviction n’est pas forcément récompensée ; il en fait, à travers l’affaire Dieudonné, sa première expérience personnelle.