Emploi, investissement, exportations: mais où sont passés les milliards du CICE?
Face à une mesure qualifiée « d’usine à gaz » par certains, les économistes ont été contraints de multiplier les hypothèses. Mais les effets vérifiés du CICE restent plus que décevants.
On le craignait. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), mesure phare du quinquennat de François Hollande, n’aura eu finalement que des effets limités. Le comité de suivi du dispositif a présenté ce jeudi son bilan pour la période 2013-2014. Pour cela, il a épluché les travaux de plusieurs organismes sur le sujet… Et leurs conclusions en matière d’emploi, d’investissement ou encore de marges des entreprises ne sont pas fameuses, quand elles ne sont pas totalement contradictoires.
LIRE AUSSI >> Le CICE a eu un effet positif « probable » sur l’emploi, pas sur l’investissement
La faute à la nature même de la mesure, explique Bruno Palier, co-directeur du Liepp, un des organismes chargés de rendre leurs conclusions sur le CICE. « Il ne s’agit ni d’un crédit d’impôt ciblé, ni d’une baisse de charges. Une fois dans les comptes des entreprises, il est difficile à tracer » explique-t-il au Monde ce jeudi.
A tel point que les économistes ont dû se résigner à envisager plusieurs hypothèses pour retrouver la trace des milliards du CICE. Entre 2013 et 2014, le montant des créances des entreprises s’est élevé à 28,7 milliards d’euros.
Un effet limité ou nul sur l’emploi?
Ce qui est sûr, c’est que les bénéfices en termes d’emploi – le fameux E du CICE – n’auront pas tenu face à l’assaut des analystes. Dans leurs conclusions, les chercheurs du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp) de Sciences Po sont catégories. L’effet de la mesure a été nul.
La fédération Tepp (Travail, emploi et politiques publiques) du CNRS se montre, pour sa part, un peu plus optimiste. « Nous avons identifié le maintien ou la création de 81 000 emplois entre 2013 et 2014, détaille l’économiste Yannick L’Horty. Les entreprises ayant le plus bénéficié du CICE ont bel et bien créé des emplois ». Et d’ajouter: « Mais il est vrai que l’on peut discuter l’ampleur de cet effet au regard des masses budgétaires mises en oeuvre ».
Ce sont ces résultats, jugés plus« cohérents » et « précis », que le comité de suivi du CICE a retenus. Le dispositif a eu « [probablement] un effet direct de l’ordre de 50 000 à 100 000 emplois crées ou sauvegardés sur la période 2013-2014 », s’est ainsi félicité Jean Pisani-Ferry, le commissaire général de France Stratégie, lors de la présentation des résultats ce jeudi. Mais le bilan reste bien maigre et le coût disproportionné: entre 287 et 574 000 euros par emploi et par an.
Consommateurs, actionnaires ou reconstitution du stock?
Et il l’est encore plus en matière d’investissement, de R&D et d’exportations. Les chercheurs sont unanimes: « le CICE n’a pas eu d’impact de court terme sur ces points » résume Clément Carbonnier au Liepp. Quant aux marges des entreprises, elles auraient connu « une amélioration sensible ». « Mais les résultats ne permettent pas de démontrer que les entreprises ayant touché beaucoup d’argent dans le cadre du CICE ont vu leurs marges s’améliorer plus que celles ayant touché peu », nuance Philippe Askenazy, économiste au CNRS et membre expert du comité de suivi.
En l’absence de résultats probants, il met en avant un éventuel effet « de diffusion sur l’ensemble des entreprises ». « Les entreprises ayant touché le plus de CICE ont pu accorder des baisses de prix, de manière volontaire ou non, à des entreprises non bénéficiaires, détaille-t-il. Un fois redistribué, l’argent aurait profité aux actionnaires, aux consommateurs ou à la reconstitution du stock des entreprises.
« On constate que les entreprises ont reconstitué en deux ans un stock à hauteur de 30 milliards d’euros, une somme pas très éloignée du montant du CICE sur la période, justifie Philippe Askenazy. Les dividendes ont également connu une augmentation d’environ 10 milliards ».
En ce qui concerne les consommateurs, une partie du CICE aurait pu leur être reversée via une baisse des prix. « Les entreprises ont peut-être voulu gagner des parts de marché, et donc baissé leurs prix de vente », envisage Philippe Askenazy… aboutissant à un scénario noir, relève Le Monde. « Le CICE a été financé via une augmentation de la TVA, et il aurait permis une baisse des prix? On tourne en rond », s’étouffe l’économiste du CNRS.
Des effets à long terme?
Pour autant, les économistes tiennent à modérer le sens de ces conclusions. « Une autre réflexion sur le sujet devrait avoir lieu dans les prochains mois, pour confirmer les hypothèses qui ressortent de cette première analyse », confirme Philippe Askenazy. Par ailleurs, « les effets sur l’investissement apparaissent à plus long terme, une fois justement que les marges des entreprises ont été reconstituées », relève Mathieu Plane à l’OFCE.
Le gouvernement lui, continue à y croire. « Compte-tenu de la montée en charge progressive du CICE, les effets sur l’emploi seront forcément plus importants cette année, a affirmé ce jeudi le ministre de l’Economie Michel Sapin au Monde. Du reste, on voit bien que les entreprises n’ont commencé à recréer des emplois qu’à partir de 2015. Les effets attendus du CICE sur l’investissement et les exportations ne peuvent se matérialiser qu’à plus long terme ». Mais sans doute trop tard pour sauver son bilan économique.