Peut-on supprimer 500 000 fonctionnaires en 5 ans comme Fillon le propose ?
Peut-on supprimer 500 000 postes dans la fonction publique en cinq ans ? La proposition de François Fillon agite le débat économique de l’entre-deux-tours de la primaire de la droite. Alain Juppé, lui, avance un chiffre deux fois inférieur : entre 200 et 250 000. Le Point.fr a voulu trancher la question.
La France compte-t-elle trop de fonctionnaires ?
On dénombrait 5 448 312 emplois publics (fonctionnaires, contractuels et militaires) ou 5 070 603 équivalents temps plein dans l’Hexagone en 2014. Un chiffre pas particulièrement élevé, si l’on se réfère aux comparaisons internationales, établies par l’OCDE sur la base des données collectées par l’Organisation internationale du travail.
Selon l’institution basée à Paris, l’emploi public* représentait 19,8 % de l’emploi total de la France en 2013. Un chiffre bien inférieur aux pays du nord de l’Europe comme le Danemark, la Suède ou la Norvège, trois pays où cette proportion tourne autour de 30 %. La tendance est à une légère baisse par rapport à 2009.
En revanche, il est vrai qu’elle est bien supérieure à celle observée en Allemagne où l’emploi public atteint 15,4 % de l’emploi total en 2009, dernier chiffre connu, selon le Panorama des administrations publiques 2015. Mais pour François Ecalle, auteur pour le site spécialisé sur les finances publiques Fipeco, ce rapprochement illustre le manque de fiabilité des comparaisons internationales. Tout simplement parce qu’en Allemagne les hôpitaux ne sont pas comptés dans les administrations publiques.
Combien Nicolas Sarkozy avait-il supprimé de fonctionnaires pendant son quinquennat ?
De 2008 à 2012, Nicolas Sarkozy a réussi à supprimer 150 000 postes dans la fonction publique d’État grâce aux nombreux départs en retraite sur la période, selon un bilan de la fameuse RGPP (révision générale des politiques publiques) publié en décembre 2012. Il avait notamment fusionné les services fiscaux, l’Unedic et l’ANPE. La hausse est limitée à 1 700 agents en moyenne par an, une goutte d’eau.
Les objectifs de François Fillon sont-ils atteignables ?
La proposition du candidat sorti en tête du premier tour revient à supprimer environ 10 % des effectifs en 5 ans. Mais il compte sur les départs en retraite prévisibles pour y parvenir. À supposer qu’aucun départ ne soit remplacé pendant cinq ans dans les trois fonctions publiques (d’État, territoriale et hospitalière), le nombre de suppressions de poste atteindrait environ 600 000. Mais personne ne se résout à une telle purge de la fonction publique, pas même François Fillon. Le député de Paris affirme qu’il reviendra à la règle d’un départ à la retraite sur deux non remplacés qu’il avait tenté d’appliquer à la fonction publique d’État pendant qu’il était à Matignon. Le respect de cette règle dans les trois fonctions publiques permettrait de supprimer 300 000 postes.
Le député de Paris a donc dû nuancer son plan pendant sa campagne. Il explique désormais que le reste des postes sera supprimé, non pas chez les fonctionnaires, mais parmi les contractuels de la fonction publique où on compte environ 100 000 fins de contrat par an. De quoi ajouter 250 000 postes non remplacés sur 5 ans. L’objectif de 500 000 serait donc atteint. Sur le papier. En réalité, se passer des contractuels sera très difficile. « Ils constituent l’élément de flexibilité dans la gestion de la fonction publique, souligne François Ecalle. Les CDD sont souvent renouvelés et permettent de faire tourner la fonction publique, particulièrement l’Éducation nationale. Cela permet de remplacer les profs absents. À tel point que certains titulaires de CDD pourraient même faire requalifier leurs contrats en CDI. »
Les obstacles sont donc nombreux, d’autant que les deux candidats veulent repousser l’âge de la retraite, y compris pour les fonctionnaires, ce qui devrait retarder le nombre de départs de la fonction publique dans les années à venir.
Où tailler ?
C’est sans doute dans la fonction publique territoriale que les marges de manœuvre sont les plus importantes. Entre 2002 et 2013, le nombre d’agents y a bondi de 405 000 sur un total de près de 2 millions fin 2014, s’inquiète la Cour des comptes dans son rapport annuel. Une augmentation d’autant plus injustifiable que plus de la moitié (243 000) ont grossi les rangs des communes et des intercommunalités qui « n’ont pas fait l’objet de nouveaux transferts de compétences de la part de l’État ». Mais ce dernier ne peut rien imposer aux collectivités qui jouissent du principe de libre administration. Les candidats devront donc trouver un moyen de leur tordre le bras.
L’augmentation du temps de travail est-elle un levier efficace pour supprimer des postes ?
François Fillon assure qu’il repassera à 39 heures en un an quand Alain Juppé mise sur la négociation avec les fonctionnaires pour en préciser les modalités. Mais pour que cette stratégie fonctionne, il faudrait que les fonctionnaires en poste puissent compenser le travail de ceux qui partent en retraite. « Pour y parvenir, il faudrait pouvoir redéployer les effectifs, prévient François Ecalle, conseiller maître à la Cour des comptes en disponibilité. Or, les fonctionnaires sont peu mobiles. Et quand ils le sont, c’est davantage pour des raisons personnelles, comme les jeunes profs de Seine-Saint-Denis qui veulent changer d’affectation ».
Dans une note sur son site, François Ecalle conclut donc qu’un objectif de diminution des effectifs de 1 % par an (soit 54 000) « paraît raisonnable ». C’est grosso modo le scénario retenu par Alain Juppé. À supposer que le temps de travail des fonctionnaires puisse être relevé de 5 % sans augmentation de salaire, le spécialiste juge toutefois possible de parvenir à un chiffre de 400 000.
Combien d’économies sont attendues ?
Alain Juppé table sur 6 à 9 milliards, sur un objectif total de 80 à 100 milliards de baisse de dépenses publiques. Cela inclut le rétablissement de 2 jours de carence pour les fonctionnaires. Mais l’Institut Montaigne se montre sceptique. « Notre chiffrage montre que les économies attendues des réductions d’emploi dans les trois fonctions publiques sont surestimées de l’ordre de 20 à 25 % », écrivent les experts en finances publiques de ce think tank libéral. François Fillon espère, lui, à terme, 15 milliards de rendement.
*L’emploi dans le secteur public couvre l’ensemble des emplois dans le secteur des administrations publiques, plus l’emploi dans les sociétés publiques.