Élie Cohen : « J'ai cru dans la capacité réformatrice de Hollande… »
Élie Cohen, directeur de recherche au CNRS et professeur à Sciences Po, a été l’un des animateurs du groupe d’économistes qui a planché sur le programme de François Hollande pendant la primaire de 2011. Coauteur d’un livre sur les réformes nécessaires en France avec Philippe Aghion et Gilbert Cette*, il confie sa déception sur la politique économique du président, qui vient de renoncer à briguer un second mandat. Entretien.
Le Point.fr : Pourquoi le quinquennat de François Hollande s’est-il soldé par un échec économique ?
Pour le comprendre, il faut remonter au Hollande de la primaire socialiste de 2011. Ce Hollande-là parle de pacte éducatif, mais aussi des problèmes de compétitivité de la France, d’économie de l’offre et d’équilibre des finances publiques. Il gagne cette primaire sur les thèmes de la modernisation de l’appareil productif et de la convergence avec les autres pays européens en matière budgétaire et fiscale.
Ce n’est pas vraiment celui de la campagne présidentielle…
Non. Le Hollande investi par le Parti socialiste est tout à fait différent. Il change alors radicalement de discours. Cela débouche sur ses 60 mesures de campagne ou son discours du Bourget, d’une facture socialiste beaucoup plus classique. Il rentre dans la logique du « tax and spend », « imposer pour dépenser », et de la stimulation de l’activité par l’État. Et il se fonde sur des prévisions de croissance totalement irréalistes pour attester de la viabilité de son programme.
C’est ce qui lui est fatal ?
Ce changement de pied l’empêche d’avoir un mandat mandat clair pour réformer une fois à l’Élysée. Il compte sur son habileté politique et tactique pour faire avaler ses projets à un groupe parlementaire qu’il sait non acquis à ses réformes. Dès les premiers jours de pouvoir, il est pris dans une contradiction fondamentale entre ses convictions – la nécessité de mener une économie de l’offre européenne sans pour autant s’en prendre aux avantages sociaux – et l’orientation de sa majorité. Il prend donc des mesures contradictoires parce qu’elles sont destinées à des publics différents.
Par exemple ?
Il dit qu’il veut baisser les charges sociales pour les entreprises, mais multiplie les mesures qui se traduisent en fait par un coût réglementaire et fiscal supplémentaire qui handicape la compétitivité. Sa main gauche reprend ce que donne la main droite. Je pense au compte pénibilité, à la loi Hamon, à la loi Florange et à des mesures individuelles qui alourdissent la taxation des entreprises. Cela passe par des mesures en faveur du logement, la généralisation des assurances santé complémentaires d’entreprise, l’augmentation des taxes dans la région parisienne pour financer le Grand Paris. Autant de taxes qui pèsent sur le cycle de production des entreprises avant même que l’on sache si elles ont fait du profit. Il faut savoir que nous avons entre 30 et 40 milliards d’impôts sur le cycle de production des entreprises alors que l’impôt sur les sociétés est de 50 milliards. Autrement dit, les entreprises sont imposées avant d’avoir produit le moindre résultat ! C’est une exception française.
Il a justement supprimé la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) qui pèse sur le cycle de production des entreprises !
Non, cela n’a été fait que pour les petites entreprises. Le dernier volet qui devait intervenir en 2017 a été supprimé au profit d’une augmentation du crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice).
Il y a quand même eu un programme ambitieux de baisses de charges pour les entreprises. Si l’on ajoute le pacte de responsabilité au Cice, le montant atteint, tout de même, 40 milliards d’euros.
Je ne suis pas d’accord. Tout le monde parle de 40 milliards, mais le dernier chiffre de ce qui a été vraiment distribué est de 23 milliards. Or, les impôts sur les entreprises ont augmenté de 30 milliards depuis fin 2011. Mais peu importe, la question n’est pas là. Ceux qui ont le plus payé, ce sont les ménages qui ont vu leurs impôts augmenter très fortement.
Les entreprises ont vu leurs marges remonter, pourtant.
Elles ont récupéré deux points de marge. C’est à des années-lumière de ce qu’il faudrait faire pour égaliser les conditions de concurrence entre les entreprises françaises et les allemandes, sans parler des entreprises anglaises ou italiennes ! Si on veut véritablement faire de la compétitivité « hors-coût », c’est-à-dire pousser les entreprises à monter en gamme et à innover, il faut d’abord restaurer les conditions de la rentabilité. Le drame de l’économie française, c’est qu’elle souffre d’une spécialisation équivalente à celle de l’Espagne avec des coûts suédois ! Ça ne peut pas marcher. On touche du doigt le caractère désespéré de sa tentative : il s’est mis à dos tout une partie de la gauche parce qu’il a fait un effort en faveur des entreprises. Mais cet effort était trop limité pour inverser le cours des choses. Il n’a pas réussi à mettre le système productif français dans une dynamique vertueuse.
François Hollande n’a-t-il pas été coulé par la volonté européenne de réduire rapidement les déficits pour rassurer les marchés en 2012-2013 ?
C’est clair. La crise de 2011 a conduit Angela Merkel à demander le retour le plus rapide possible à l’équilibre des finances publiques avec le fameux traité budgétaire. On sait que cela a plombé la croissance européenne. Superposez les courbes de croissance européenne et américaine : vous verrez un décrochage européen très net en 2012 à cause de cette politique. Mais c’est la condition que l’Allemagne a mise pour sauver les pays en difficulté : la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne. Fallait-il aller à la crise ouverte avec Berlin au risque de faire éclater la zone euro ? Tel était le dilemme de François Hollande. Lequel n’est pas stupide : il a accepté un compromis qu’il savait délétère pour la croissance européenne. Il pensait contrebalancer les effets de cette politique par un plan d’investissement. Ça n’a pas marché. Sa dynamique a été brisée.
Ne peut-on lui faire crédit d’avoir converti la gauche au discours sur la nécessité d’améliorer l’environnement des entreprises ?
C’est ce que j’ai longtemps cru et défendu comme position. Maintenant que je vois comment se présente cette élection, j’ai changé d’avis. C’est ma plus grande tristesse : cet effort de Hollande n’aura pas contribué à accroître la culture de gouvernement du Parti socialiste. On voit bien que la gauche libérale se présente hors de la primaire avec Macron. C’est pareil avec « le gros rouge qui tache » : Mélenchon. Et même dans la primaire, Montebourg n’est pas vraiment acquis à cette vision de gauche moderniste portée par Hollande. Ce quinquennat aboutit donc sur une division extrême avec une possible mise en minorité de la gauche de gouvernement. C’est une des maladies coutumières de la gauche. Je m’attends à ce que les candidats socialistes, quels qu’ils soient, mènent une offensive contre la politique de l’offre de François Hollande et la stabilité budgétaire dans les prochaines semaines.
Ne sous-estime-t-on pas les pas franchis avec la loi travail et la loi Macron ?
Ces deux lois sont incontestablement des pas dans la bonne direction. La question est de savoir si la gauche de gouvernement reconnaîtra que Fillon a raison quand il voudra aller plus loin. Ou si elle s’y opposera frontalement en dénonçant une dérive ultralibérale. Quand on écoute le discours du premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, on se dit plutôt qu’il y aura des attaques convergentes de la gauche et de l’extrême droite. Je crains que le PS ne capitalise pas sur les avancées de Hollande, mais les répudie dans l’opposition.
On vous sent extrêmement déçu par François Hollande…
J’ai cru dans sa capacité réformatrice. J’ai fait le pari que son habileté politique lui permettrait de faire passer des choses que je savais difficiles à faire avaler au Parti socialiste compte tenu de sa culture. J’ai sous-estimé la violence des oppositions internes et la capacité de la gauche traditionnelle du parti à s’organiser dans le mouvement des « frondeurs ». Au fil du mandat, ils sont devenus une véritable opposition interne à la majorité. Hollande aurait voulu être le Schröder français, il n’a pas pu l’être.
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