Fillon le châtelain reste serein
Les attaques, les boules puantes ? François Fillon s’y attendait. Les attendait-il si vite ? Vu l’absence de préparation dans son entourage sur le sujet, on serait tenté de penser que non. Depuis son élection, à chaque semaine son lot de « révélations ». Les dernières en date ? La publication de l’acte notarié et d’une photo inédite de son château dans la Sarthe dans LeCanard enchaîné, un petit jour seulement après sa visite chez Emmaüs dans le 19e arrondissement de Paris pour un discours sur la lutte contre l’exclusion, érigée soudain en « priorité essentielle » (sic). Mais comment appréhender avec acuité la question de la très grande pauvreté quand on possède six hectares et quatorze chambres ?
Gageons que ses adversaires ne tarderont pas à poser cette question haut et fort. Le patron du PSJean-Christophe Cambadélis s’est d’ailleurs empressé de donner le la en déclarant : « C’est un peu cruel que le jour où vous allez chez Emmaüs on publie dans la presse que vous avez un château caché qui vous donne une dimension de châtelain. »
Conseils payants
À cette polémique, il faut ajouter celle apparue dès son élection fin novembre. Lui, l’austère qui aurait pour seul plaisir coupable les voitures de course et la vitesse, l’ascète presque, pense-t-on en le regardant, certes toujours tiré à quatre épingles dans des costumes parfaitement taillés, mais n’arborant ni Patek Philippe au poignet, ni Ray-Ban aviateur, bref, lui, Fillon, avait déjà dû faire face aux indiscrétions du Canard enchaîné – encore – sur son argent. Grâce à « 2F Conseil », son entreprise dont il est le seul salarié et dont le chiffre d’affaires entre 2012 et 2015 s’élève à plus d’un million d’euros, l’ancien Premier ministre s’est versé, en plus de son salaire de député, un salaire net mensuel de presque 18 000 euros pendant trois ans et demi. De quoi esquisser d’un trait appuyé les contours de son image de candidat des riches déconnecté des préoccupations de l’électorat populaire.
Pas de sujet
Mais dans son entourage, personne ne semble déceler dans ces dévoilements le moindre risque. « Qu’il ait un patrimoine immobilier dont la valeur est moindre qu’un appartement à Paris avec un passé professionnel de 40 ans derrière lui ne me semble pas choquant, s’insurge Benoist Apparu, porte-parole du candidat. Je trouve ça délirant qu’il ait à se justifier là-dessus. » Quant au sujet de sa boîte de conseil, le député de la Marne et d’autres avec lui se rangent derrière la loi : « Si on ne veut pas qu’un politique gagne de l’argent avec une activité extérieure, alors il faut faire une loi pour l’interdire. »
François Fillon de son côté n’a pas prévu de réagir sur le sujet. Lors des réunions de son équipe (cellule des porte-parole, cellule riposte notamment), le sujet n’a pas été évoqué et aucun « élément de langage », comme on dit dans le jargon de la communication politique, distribué. Cela viendra peut-être, admet un « riposteur », mais pas question de mettre en place une véritable campagne de riposte. Ce serait accorder trop de place à un sujet mineur, veut-on croire au sein de l’équipe de François Fillon. « Le château marque son histoire de notable de province, est-ce un problème ? Il a gagné la primaire alors que tout le monde avait vu la photo dans Paris Match des années plus tôt », assure l’un de ses fidèles.
Vote populaire
Mais au-delà des chiffres, de l’évaluation exacte du montant de sa richesse, le manoir, les conseils rémunérés ne risquent-ils pas tout simplement d’éloigner de lui le vote populaire pourtant nécessaire pour gagner une présidentielle ? À la primaire de la droite, comme l’avait prévu l’ancien stratège de Nicolas Sarkozy Patrick Buisson, ce sont majoritairement les notables, les catégories supérieures ou moyennes qui ont glissé leur bulletin dans les urnes. La « France périphérique » chère au géographe Christophe Guilluy sur laquelle comptait Nicolas Sarkozy n’a pas fait le déplacement. Mais pour l’élection présidentielle, il en sera – espérons-le – autrement. Cette France des oubliés sera-t-elle réceptive aux discours d’un candidat dont le mode de vie est si éloigné du leur ?
Soyons honnêtes, la même remarque est possible au sujet de Nicolas Sarkozy mais étonnamment, l’ancien président parvenait à installer dans ses salles de meeting une France modeste. Quand on l’interrogeait sur ce paradoxe, il pestait bien sûr puis l’expliquait par l’usage d’un « parler vrai » qui le transformait, lui le candidat bling-bling, époux du top model Carla Bruni, en surface de projection pour un électorat populaire. Et quand on posait ensuite la question aux gens présents dans la salle, ils formulaient la même explication.
Or Fillon n’a pas ce franc-parler. Chez lui, chaque mot est pesé, chaque phrase ciselée, et voilà que son image de bourgeois sarthois-parisien est étayée par des révélations sur son patrimoine. Même si pour l’heure, il ne compte pas réagir à ces informations, il risque tôt ou tard de devoir au moins se demander : comment élargir son socle électoral dans ces conditions ?